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faces différentes; elles font agréables enfin, parce qu'elles font toutes naturelles, fortant du fujet, s'engendrant les unes des autres, & qu'elles font rendues par des fons, par des mots, par des finales fonores, douces, fouvent imitatives. Enfin il regne par-tout un efprit de religion & de piété, qui ajouté à la vertu & au talent de l'Orateur, embellit toute fa composition, & donne un nouveau poids & un nouveau charme à fon autorité. Nous n'avons point en françois, ni peut être ailleurs, un dif cours entier qui foit d'une éloquence plus fleurie plus riche , , plus ingénieuse, plus aimable. Cependant l'ouvrage n'est point parfait. Il y a une continuité de beautés dans des genres & des efpeces peu différentes qui le rendent monotone. L'antithefe y brille par-tout. C'est un écho perpétuel d'idées qui fe répondent, & qui fe choquent pour se donner plus d'éclat. L'éloge funebre eft un jour de triomphe pour la vertu; c'est un chemin qui doit être femé de fleurs, on le fait; mais il y a en tout des bornes, les larmes ne fe mêlent. point avec les jeux d'efprit. M. Fléchier a affujetti fon fujet à fa maniere. Les grands peintres ne doivent point avoir d'autre maniere que celle qui appartient

non-feulement au sujet qu'ils traitent,mais à chaque objet qui fe trouve dans le fujet. Un autre défaut moins confidérable, qui peut-être fuit de l'autre, c'eft l'affectation des nombres : ils font trop brillans trop gradués & trop fréquens. Les nombres font le luxe de l'éloquence. Si on les emploie fans difcrétion, ils éteignent le feu de l'action, la fenfibilité de l'acteur, & détruifent entierement l'air & le ton de vérité. (a). Si on les pardonne ici a M. Fléchier, c'eft parce que fon fujet étoit. furabondant en richeffes, & qu'il pouvoit y prodiguer tous les trésors de l'art & du génie.

CHAPITRE

XII.

Exemple du ftyle grave & auftere.

LA

A defcription que nous allons donner de ce ftyle, eft tirée du même auteur que celle du ftyle fleuri. Nous ne ferons prefque que le traduire.

Dans le ftyle grave & auftere, tous les mots font comme établis fur une base large & folide, qui eft la penfée. On

(a) Si enim femper utare, cùm fatietatem affert, tùm detrahit actionis dolorem, aufert humanum fenfum actoris, tollit funditus veritatem & fidem. Cicer. Orat. 62.

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diroit qu'ils font détachés les uns des autres pour être plus apparens, comme ces rochers dont les pointes paroiffent dans le lointain. Les voyelles & les confonnes s'entrechoquent fouvent & fe repouffent; on peut les comparer à ces pierres brutes & non taillées, qu'on jette dans les fondemens des grands édifices. Il marche à grands pas; il ufe de mots longs & lourds, & ne craint rien tant que les fyllabes légeres, qu'il n'emploie que faute d'autres. Voilà ce qu'il. fait pour les mots. Il a le même systeme pour les phrafes; il ne il ne prend que des nombres forts & vigoureux; ne s'embarraffant jamais qu'ils foient égaux ou fymétriques, ou gradués, pourvu qu'ils foient naturels ou libres, plus propres à frapper un grand coup, qu'à plaire. Peu attentif à la marche cadencée des périodes, il n'ufe d'elles que par hafard, & parce qu'elles fe font faites d'ellesmêmes. On ne le verra point ajouter des mots pour arrondir la phrase, & rendre le nombre complet. Point de ces chutes brillantes qui attirent les applaudiffemens; point de figures trop foutenues point de tranfitions ménagées, peu de liaison, point de fleurs: nulle frifure fouvent âpre, efcarpé, hériffé informe, ne fe parant jamais que de fa

franchise, de fa 'fierté & de fa liberté. Ainfi parle Denys d'Halicarnaffe.

Le lecteur en lifant ce tableau a penfé plus d'une fois à M. Boffuet, qui en effet eft celui de nos Orateurs qui approcha le plus de ce caractere. Nous n'en citerons que deux ou trois morceaux affez courts, qui aideront infiniment à rendre nettes & diftinctes les idées qu'on doit avoir des différens genres d'Eloquence.

Voici comment il peint le pouvoir de la mort fur les grandeurs humaines : >> La voilà, malgré ce grand cœur, cette » princesse fi admirée & fi chérie » ( Me. Henriette-Anne d'Angleterre, Ducheffe d'Orléans) » la voilà telle que la mort » nous l'a faite : encore ce reste tel quel, » va-t-il difparoître : cette ombre de gloire » va s'évanouir, & nous l'allons voir dé» pouillée même de cette trifte décora» tion. Elle va defcendre à ces fombres » lieux, à ces demeures fouterraines, » pour y dormir dans la pouffiere avec » les grands de la terre, comme parle >> Job; avec ces rois & ces princes anéan»tis, parmi lesquels à peine peut-on la >> placer, tant les rangs y font preffés, » tant la mort eft prompte à remplir ces >> places. Mais ici notre imagination nous » abuse encore; la mort ne nous laisse >> pas affez de corps pour occuper quelque

>> place, & on ne voit là que des tom>> beaux qui faffent quelque figure. Notre >> chair change bientôt de nature, notre >> corps prend un autre nom, même ce>> lui de cadavre, dit Tertullien, parce >> qu'il nous montre encore quelque forme » humaine, ne lui demeure pas long-tems; » il devient un je ne fais quoi, qui n'a >> plus de nom dans aucune langue; tant >> il eft vrai que tout meurt en lui, jus» qu'à ces termes funebres par lesquels >> on exprimoit fes malheureux reftes ... » mais quoi, Meffieurs, tout eft-il donc » désespéré pour nous? Dieu qui fou>> droie toutes nos grandeurs jufqu'à les » réduire en poudre, ne nous laisse-t-il >> aucune espérance? Lui, aux yeux de » qui rien ne se perd,& qui fuit (a) tou>> tes les parcelles de nos corps, en quel» que endroit écarté du monde que la >> corruption ou le hafard les jette, verra>> t-il périr fans reffource ce qu'il a fait >> capable de le connoître & de l'aimer ? >> Ici un nouvel ordre de chofes fe pré» fente à moi : les ombres de la mort fe » diffipent, les voies me font ouvertes à la » véritable vie. » N'est-ce pas là ce qu'on appelle un style robufte & nerveux ? L'oreille reffent une certaine âpreté qui pour

(4) Image fublime.

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