Page images
PDF
EPUB

BANQUET DE LA SOCIÉTÉ DE LITTÉRATURE WALLONNE,

Le samedi 28 décembre 1867.

Ecce iterum Crispinus, ce qui veut dire en wallon « vol richal, dè, l'binamé.» Li binamé, c'est l'Annuaire wallon, ce petit volume saumon, si bien vu, il peut le dire, car la seule annonce de sa mort a jeté un grand trouble dans la Société. Chacun s'en est ému. On a crié haro sur les paresseux qui voulaient le laisser tomber à terre, ce qui n'était une personnalité blessante pour aucun, car elle s'adressait à tous. Chacun s'est évertué : revoici l'Annuaire.

Pardonnez cet accès de joie! En effet, c'est grâce au banquet que l'Annuaire a reparu. C'est surtout le désir de ne pas perdre la relation de la fête du 28 décembre qui a décidé la Société à continuer la publication de l'Annuaire. Alleluia! Chantons donc le banquet. Et vive les joyeux souvenirs! Et hourrah pour les gais chanteurs!

Il n'est pas rare de voir réussir une fète dans le genre des banquets wallons; mais, ce qui est rare, c'est de voir réussir des fêtes de ce genre pendant dix ans de suite et cela sans que les souvenirs de l'une fassent tort à l'autre.

Donc le samedi 28 décembre 1867, à six heures du soir, il y avait 110 gais convives réunis dans

la salle du Casino du Passage, décorée, pour cette circonstance, avec goût mais sans faste. A la table d'honneur siégeaient: M. Grandgagnage, président de la Société; MM. Lonhienne et de Sélys, sénateurs; M D'Andrimont, bourgmestre; M.Lagrange, le charmant poëte de Namur, et M. S. Bormans, secrétaire de la Société. Les autres convives étaient tous très-bien placés puisqu'ils avaient eux-mêmes choisi leurs voisins. Ce serait peut-être plus difficile s'il y avait des voisines; mais la Société Wallonne n'en compte pas encore dans son sein, ce qui est pour elle un vif sujet de chagrin; témoin les rires continuels qui animaient cette fête!

Selon la louable habitude de la Société, le texte du menu est rédigé en wallon macaronique (car y il en a de cette espèce comme du lätin, et quand l'employerait-on, si ce n'est à un banquet?). Il est encadré dans des dessins qui représentent des scènes locales.

Or voici ce menu :

Chîrès mosse.

[ocr errors]

---

Sope ax treus roïe. Ragostantes bècheie. Pèhon d'flamin d'gatte. - Filet d' bouf di Hasse, riwèri. - Fricassaie di piètrix. — Riplakège d'Allemand, coleur Bismarck.

Affaire di Rhum, tot' ègealeie.

stronlé à l'Bovreie.

Peuket d' l'Exposition.-Des coq po rire. — Chivroù Rogès biesse à la conseiller. — Feûte d'âwe à l'instår... Ine grosse biesse et ine bonne farce. Del' crême po vos pèchis. - Tos les aur dè l'Californeie.

In Empereur passé mâjor (pièce montée roulante). Freutès douceûr, chète d'frûte, patience et spéculation. Café d'al Waffe di Chivrimont. On d'meie.

[ocr errors]

Les dessins représentent Les rues de Liége un samedi, quand les vigoureuses « potofé » vous spitent avec leurs ramons et ne respectent pas plus les pantalons que les robes, d'où il résulte que les dames qui ont de beaux mollets se troussent et se troussent bien; le boulevard de la Sauvenière, un dimanche « à doze heures et après l'dîné » : l'aristocratie des petits crevés et le Joseph Prudhomme liégeois. Dans le dessin, les premiers sont plus nombreux ; est-ce une satire? Pourquoi pas? Ces petits tableaux sont ravissants. Heureux sont ceux qui peuvent ainsi observer avec leur crayon! Et surtout avec un crayon comme celui de M. E. R. Tous les membres de la Société connaissent le nom que cachent ces initiales et s'ils l'ont oublié, ils ne sont pas dignes de l'apprendre. Mais il faut penser aux nouveaux sociétaires, à qui nous ne pourrions faire le même reproche. Pour ceux là seuls, mais pour aucun autre, nous dirons que cet habile et spirituel crayon est celui de M. Renoz, notaire.

C'est toujours une très-grave question de savoir si le texte du menu wallon est bien d'accord avec les plats que l'on sert: d'aucuns prétendent que le cuisinier qui prépare les plats et celui qui rédige le menu sont deux spécialités différentes. Cela faisait l'objet de plus d'une grave controverse parmi les gourmets lettrés de l'assemblée; mais peu importe, si le cuisinier avait traduit littéralement or le fait est que sa traduction était très-élégante, très-bien préparée, fort nourrie et liée dans le meilleur goût: aussi les coups de dents

lui firent-ils beaucoup d'honneur et chacun saisissait au passage (je ne me suis aperçu du calembourg qu'après qu'il était écrit, donc je lui pardonne; faites comme moi, lecteur, je vous prie) un des commissaires du banquet pour lui adresser ses félicitations.

Un moment de silence est toujours chose difficile à obtenir dans une réunion de ce genre et particulièrement dans un banquet wallon, qui n'a jamais voulu concourir comme académie silencieuse. Cependant M. Grandgagnage, président, y parvient, grâce aux efforts désintéressés de M. Le Roy, commissaire volant, et il porte la santé du Roi en un discours qui en dit plus qu'il n'est long:

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

En bons patriotes, notre premier toast est toujours

pour le Roi. Que son règne soit long et heureux ! Buvons à la santé de notre Roi bien-aimé ! Vive le "Roi!"

Ces mots furent répétés par toute la salle au milieu des applaudissements unanimes.

M. d'Andrimont, bourgmestre de Liége, but ensuite à la Société liégeoise de Littérature wallonne. On a beaucoup applaudi à son toast, qui est très-heureux comme pensée et comme expression; jugez-en :

[ocr errors]

Il n'y a pas bien longtemps, dans une solennité artistique, je disais qu'il ne devait y avoir en Belgique

ni mouvement wallon, ni mouvement flamand, et que tous nous devions rester unis par le même sentiment, le sentiment de notre nationalité.

66

Personne ne l'ignore, messieurs, cette pensée a toujours été la vôtre.

[ocr errors]

Aujourd'hui plus que jamais et malgré les réclamations qui se sont produites récemment à la Chambre, je constate avec une véritable satisfaction que, dans notre bonne Cité de Liége, les Wallons, accourus de tous les points du pays, s'assemblent, non pour formuler de vaines plaintes ou soulever des questions de rivalité, mais pour prendre part à une fète toute littéraire et pour fraterniser sur un terrain neutre sans arrièrepensée.

"

Ici nous n'entendrons que de joyeuses pasqueyes dont la primeur nous est offerte par nos meilleurs chansonniers, de vieux airs dont le souvenir ranime chez nous la fibre patriotique, de gais couplets dont les auteurs, nos vieux amis, ne sont plus, hélas! parmi nous !

Rattachons, messieurs, le passé au présent, le présent à l'avenir :

[ocr errors]

Un hommage à la mémoire de Lesoinne, de Bovy, de Forir, de Bailleux, de Micheels;

[ocr errors]

Une bonne et cordiale poignée de main à tous ceux qui nous entourent;

[ocr errors]

Un toast à la prospérité croissante de la Société liégeoise de Littérature wallonne.

Après les toasts, les chansons ont commencé. Gaies, spirituelles, pleines de verve et d'humour liégeoisé, elles ont duré jusqu'à minuit sans que l'on eût cessé d'applaudir et d'être enchanté. Nos lecteurs n'en pourront juger qu'imparfaitement ; car ils n'ont sous les yeux que le texte des chansons et il leur manque cette chose si impor

« PreviousContinue »