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importuns. Les Italiens disent indifféremment pasquinata et pasquillo. Ce n'est pas que le nom de pasquinade, au reste, nous soit venu directement de Rome. Pasquin, sous diverses formes, a fait le tour de l'Europe et a été connu dans le nord, surtout des gens lettrés, avant de l'être de tout le monde. Le fameux torse de Rome a été appelé Pasquil par certains écrivains français du XVIe siècle. Il me semble que tout doute doit cesser en présence des titres de certains livres cités par Brunet, tel que le Pasquil de la Cour (1561), la Pasquille d'Allemagne (1546), le Pasquillus extaticus dont une édition italienne existe sous le titre de Pasquino in estasi. On dit ici une pasquinade, là une pasquille, ailleurs une pasquèie, faisant d'un nom propre un nom commun. La signification primitive et littérale est laissée de côté ou même s'oublie. C'est ainsi qu' on a dit et qu'on dit encore une philippique, sans songer à Démosthène ni à Philippe de Macédoine, ni même aux invectives de Cicéron contre Marc-Antoine. >>

A l'appui de la thèse défendue dans ces dissertations philologico-historiques, nous ajouterons, ce qui nous paraît concluant, que l'on a employé à Liége le mot pasqueille pour désigner une chanson wallonne, avant de se servir du dérivé pasquèie. Exemple la pasqueille de 1675, publiée par Bailleux dans le tome II du Bulletin de la Société de litterature wallonne.

Une autre étymologie qui a rencontré quelques partisans est celle qui fait venir pasquèie du terme de musique français passacaille. Ce mot,

dit Gattel (1), dérive « de l'espagnol pasacalle, qui a la même signification et qui paraît formé de pasar, passer, et de calle, rue: soit parce que cette danse et très-commune et court en quelque sorte sorte les rues : soit parce que, s'exécutant sur un mouvement plus lent que la chaconne ordinaire, elle ressemble à la marche grave et lente des Espagnols dans les rues. » Bien que le docte Simonon, dans une note manuscrite que nous avons sous les yeux, adopte cette étymologie, nous ne la croyons pas discutable. On confond évidemment ici la danse avec le chant, le crâmignon avec la pasquèie.

Reste enfin l'opinion de ceux qui font dériver pasquèie de Paques. Nos chansons populaires rappeleraient les ludi paschales. M. Liebrecht, professeur à l'Ecole normale de Liége, se prononce dans ce sens. « Pasquèie, dit-il, rappelle l'usage des jeux de Pâques, espèces de fêtes populaires d'origine payenne où on célébrait le retour du printemps (2). Ces jeux se composaient de jeux et de chansons et ces dernières (chansons pascales), qui étaient alors en grande vogue, pourraient bien avoir donné leur nom à ce que l'on appelle maintenant pasquèies. »>

Cette étymologie, la plus ingénieuse de toutes

(1) Dictionnaire universel de la langue française, 3e édition. Lyon, 1819, in-4o T. II p. 317.

(2) Voir sur les jeux et les chansons de Pâques Grimm. Deutsche Mythologie, 2e édition, p. 740.

celles qui ont été produites, est-elle admissible? Nous ne le pensons pas. Si Paques est l'ascendant de pasquèie comme Noël est celui de noié, au moins doit-on pouvoir citer quelques spécimens de chansons wallonnes composées soit pour célébrer la Résurrection, soit pour fêter le retour du printemps dans le sens des anciens. Nous en sommes encore à chercher une pièce de ce genre.

Après avoir exposé les différentes étymologies proposées et les raisons qui militent en faveur de l'ascendant pasquille, posons maintenant la question de l'orthographe.

Nous ne pouvons préciser l'époque où le mot pasquèie a fait son apparition dans notre idiome; mais on ne le rencontre point avant les dernières années du XVIIe siècle. La Bibliothèque de Liége possède une copie manuscrite de la Paskey dit Quarem et Charnée qui remonte à 1700 environ. Ce dépôt s'est encore enrichi récemment d'une pièce imprimée, datée de 1714, intitulée Paskaye mémorialle, etc. : c'est une sorte de chanson dialoguée, composée à l'occasion de la pose de la première pierre de l'Hôtel-de-Ville de Liége, par un poëte plus habitué à manier la truelle que la plume (1).

Remarquons que nos anciens poètes wallons,

(1) Bailleux a publié cette pièce avec texte moderne en regard, dans le Bulletin de la Société Liégeoise de littérature wallonne. 1863, T. VI, 2o partie, p. 1.

tous tant qu'ils sont, semblent s'être fort peu préoccupés de régulariser leur orthographe; comme Forir lui-même, de nos jours, ils n'ont eu égard qu'à la prononciation : encore ne se sontils guère entendus entre eux sur la manière de la reproduire fidèlement. De là paskey, paskée, paskaye, et, pour tant d'autres mots, cette variété de transcriptions, quelquefois embarrassante, souvent plaisante pour le lecteur lettré qui s'enquiert de l'étymologie. Quel abus n'a-t-on pas fait de la lettre k! Tantôt elle remplaçait le c dur, tantôt le qu, dans les mots où ces consonnes auraient trouvé un emploi légitime. Il suit de là que la plupart des anciennes copies de textes wallons n'ont qu'une très-médiocre importance au point vue de la fixation de l'orthographe. Aussi ne voyons-nous aucune raison de persister à nous conformer à un usage qui, du reste, n'a jamais été général. Avec un dialecte qui se parle plutôt qu'il ne s'écrit, on peut prendre certaines libertés, si c'est prendre des libertés que d'adopter pour les mêmes mots une transcription uniforme et rationnelle. Nous écrirons donc pasquèie et, en adoptant cette forme, nous croirons répondre à la fois aux exigences de la prononciation et à celles de l'étymologie.

La pasquèie de 1714, que nous reproduisons d'après l'unique exemplaire de la bibliothèque de Liége, mettra le public à même d'apprécier le genre de compositions populaires que nos ancêtres décoraient alors de ce nom.

ULYSSE CAPITAINE.

PASKAVE MEMORIALLE

DE LA

premiere pierre mise dans les fondements de la maison de ville dans Liège, le 14 d'aoust 1714.

DIALOGUE ENTRE LOREN ET HENRY (1).

LOREN.

Viva tourto no bons Messieux,

Viva osi le bons borgeu.

Ki Diewe aye di nos aotes memoir,

Ki no vikanse di bone akoir.

Gi veu volti kwan ons réjouy

A Lige et torto ava l'pay.

Gam cour em koir, em bocque ki reię

De vey sis goë to tava l' veye.

Kil bon Diet voë tourtô beny

Les cy ki r'metron nos pay.

(1) Le seul exemplaire connu de cette pasqueie a été acquis par bibliothèque de Liège, le 19 novembre dernier, à la vente des livresde M. L***.

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