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« 1o Le Liégeois, comprenant d'une part: A. Le Liégeois proprement dit (nord de la province);

B. Le Verviétois, qui embrasse Spa, Malmedy, la vallée de la Vesdre et le canton ou ban de Herve (partie E. de la province);

C. Le Hutois, avec la basse et la haute Hesbaye, le Brabançon (S. et O.).

2o Le Namurois, avec Dinant et une partie du Brabant.

3o L'Ardennais, la Famène (Pœmani).

4o Le Hennuyer: A. de Charleroy, Thuin; B. de Mons; C. de Tournai. >>

Le Dictionnaire de Bailleux est très-avancé, mais absolument trop incomplet pour qu'on puisse songer à le publier. Les parties terminées sont plus riches en mots que chez Forir même. En fait de proverbes, l'auteur ne cite que ceux qui ont échappé à MM. Dejardin et consorts. Pour être aussi bref que possible, il ne donne pas la définition des mots français évidemment connus. Enfin, il tient compte autant que de raison des travaux approfondis de M. Ch. Grandgagnage.

Bailleux a été l'un des principaux traducteurs de l'Evangile de St-Mathieu, dont une version wallonne a été demandée, on le sait, à la Société liégeoise par S. A. I. le prince Louis-Lucien Bonaparte, pour figurer dans la grande collection de spécimens des principaux dialectes des langues d'origine latine, qui se publie à Londres sous les auspices de cet éminent linguiste.

Je citerai encore de notre ami, comme trou

vant place ici, deux discours instructifs prononcés devant la Société wallonne, une notice agréablement écrite sur les Cramignons, à propos d'un concours (16 août 1856), enfin une étude sur le patois de Liége, en 1763, date de l'élection du prince Charles d'Oultremont (1).

IV.

J'ai touché tantôt un mot de la fixation de l'orthographe wallonne. Cette grosse affaire faillit compromettre l'existence de la Société naissante, en 1856 (2). Le prononciation et l'étymologie, la tradition et la science se jetèrent des regards obliques. Les amours-propres s'en mêlèrent: genus irritabile... Il y eut des tempêtes dans ce verre d'eau. La prononciation sembla triompher par l'élection de Forir à la présidence; mais l'étymologie n'eut pas le dessous, puisque Bailleux fut nommé secrétaire. On avait voulu, en votant pour Forir, donner un témoignage d'estime à un digne vieillard, généralement aimé; mais le choix de Bailleux était autrement significatif. Le vétéran le comprit; dès qu'il reconnut que son ortho

(1) Publié en 1857 et réimprimé en 1863 (Annuaire t. I, p. 43 et suiv.)

(2) V. le t. II de l'Annuaire, art. de M. U. Capitaine.

1

graphe ralliait peu de partisans, il donna sa démission, de bonne grâce du reste; mais à aucun prix il ne voulait transiger. On le remplaça par un linguiste distingué. Le curé Duvivier ne fit pas comme Forir: il prit la mouche et se retira dans sa tente. On le regretta, mais on passa outre.

D'autres difficultés s'étaient élevées, lorsqu'on avait eu à déterminer exactement le but de la Société. Bailleux, chargé de rédiger les statuts, trancha la question par l'article Ier. « Encourager » les productions en wallon liégeois; propager » les bons chants populaires; conserver sa pureté » à notre antique idiôme; en fixer autant que » possible l'orthographe et les règles; en mon»trer les rapports avec les autres branches de la >> langue romane. » Telle fut la mission qu'on s'imposa, tels furent les principes dont on ne s'écarta jamais depuis lors, mais qui furent interprétés dans le sens le plus large, lorsqu'on jugea utile de mettre au concours des questions historiques. On remarquera que Bailleux avait cessé de s'en tenir à la déclaration formulée dans la préface du Choix de chansons; aussi bien cette déclaration n'avait-elle pas rendu fidèlement sa pensée, puisque depuis longtemps il composait lui-même en wallon. Quoi qu'il en soit, l'art. 1 du réglement émut quelques personnes elles attribuèrent à la Société des projets analogues à ceux des Flamingants. Bailleux, le président de la Société, M. Picard et moi-même, nous dûmes protester énergiquement dans nos discours et dans nos rapports. La création du Bulletin eut

pour effet de dissiper toute erreur sur nos véritables tendances : nous étions loin, comme nous sommes encore loin de vouloir élever le wallon au rang de langue littéraire; mais nous ne voulions pas non plus traiter avec indifférence la poésie populaire, dont la veine n'est pas épuisée. A l'heure qu'il est, le wallon peut encore passer pour l'incarnation de l'esprit liégeois dans ce que celui-ci a de plus original; il tend à disparaître sans doute; mais nous nous garderions bien de chercher à éteindre systématiquement l'étincelle de vie qui lui reste encore. Nous n'avons point de fausses pruderies et nous ne renions pas notre enfance. Et en présence des résultats obtenus depuis quelques années, nous répétons volontiers avec notre poète Defrecheux :

Ah! ji v's aim', lingag' di m'patreie!
Vi wallon, hossiz mes oreie

Jusqu'à dièrain joû di m'veie!

Tout en poursuivant ses études philologiques, Bailleux, au fond, l'entendit toujours ainsi. Rimer en wallon, c'était pour lui un bonheur. Il ne croyait point par là donner un mauvais exemple seulement il faisait peu de cas des gens aux pâles couleurs, apologistes de la banalité. Sa tournure d'esprit était liégeoise par excellence et son inspiration se traduisait naturellement sous une forme wallonne : qu'y faire? Pour moi, il me semble que la vraie poésie est celle qui jaillit spontanément du cœur de l'homme, et qu'il n'y a pas de principe plus faux

que celui qui fait de l'imitation la source de toute beauté artistique. Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre. J'aime mieux cela; qu'on en pense ce qu'on veut. Laissez le champ libre à la poésie patoise; la génération qui suivra, et qui ne parlera plus que le français, trouvera peut-être dans les archives que nous lui aurons léguées les éléments d'une littérature originale, nationale comme celle des Génevois.

On peut trouver que Bailleux fit preuve d'audace en essayant de traduire en wallon les Fables de La Fontaine. Il entreprit cette tâche ardue avec M. J. Dehin, dès 1851; cinq années plus tard, six livres avaient paru; les deux derniers sont entièrement de Bailleux. Je le répète : s'en prendre à un colosse tel que Lafontaine, c'était risquer beaucoup. La Fontaine passe pour intraduisible et littéralement il l'est, sans aucun doute mais quoi! c'est précisément parce que le bonhomme est franchement luimême, et que, malgré ses habits de cour, il est réellement le premier des poètes populaires. S'il est intraduisible, c'est à cause de son sel gaulois. Mais ce sel gaulois, cette façon de penser et de dire incommunicable, notre patois de Liége en possède aussi quelque chose; seulement notre génie local est coulé, pour ainsi parler, dans un moule tout différent du moule picard ou champenois. Donc point du calque de La Fontaine : ce serait une trahison. Mais pénétrons-nous de la pensée du grand fabuliste, empruntons-lui ses moyens et jusqu'à la coupe de ses vers; en

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