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des anciens philosophes, les folles disputes des sectes, les nombreuses absurdités des théologiens et des scholastiques, et le dangereux talent d'abuser des mots, en les employant à disputer sur des choses dont on n'a point d'idées, dont on ne sauroit vérifier, à l'aide des sens et de la réflexion, les élémens primitifs, ou qui ne renferment d'autres élémens que ceux dont une imagination délirante les a composées; la métaphysique, méprisée des uns, bafouée par les autres; regardée comme le partage des fous, des cerveaux creux, des pédans et des esprits faux, par beaucoup de gens censés et estimables qui ne la jugeoient que par l'abus, par l'usage indécent ou ridicule qu'ils en voyoient faire ; la métaphysique, méconnue de presque tout le monde, n'est pas non plus ce que presque tout le monde pense.

Définie comme elle doit l'être, la métaphysique n'est que la méthode analytique, ou l'analyse envisagée sous le point de vue le plus étendu, le plus vrai, et appliquée au système général dé nos connoissances, dont elle embrasse indistinctement toutes les parties: la belle et vaste science des mathématiques n'est elle-même que la solution d'un grand problème de méthaphysique ou d'analyse (le calcul de la portion mesurable de nos idées).

C'est le précieux talent de cette analyse qui forme la base et la substance de la vraie philosophie, sœur et compagne de la vraie méta

que

physique, dont elle ne diffère qu'en ce que celle-ci se borne à éclairer l'entendement, tandis que celle-là se propose en outre de former et de diriger la volonté, en déterminant la conduite et les mœurs des individus, des peuples, et de ceux qui les gouvernent. Cette dernière, toujours occupée du bonheur des hommes cherche à mettre en pratique les lumières et les principes que l'autre lui fournit; et pénétrant à la lueur de son flambeau jusque dans les derniers détails de l'administration publique et de l'économie politique, elle aspire à établir dans les sociétés le règne de la justice, qui n'est l'exercice habituel de la raison et de la vérité; et elle en vient à bout chez les peuples assez heureux pour être gouvernés par des philosophes, ou des hommes joignant à beaucoup de génie une âme assez belle, assez grande, pour n'éprouver dans la glorieuse et pénible fonction du gouvernement que le noble besoin de faire des heureux, ou du moins, celui de produire le plus de bien et d'empêcher le plus de mal qu'il est possible; car, (tel est le malheur de la nature humaine), c'est à cela qu'aboutit presque toujours la meilleure volonté jointe aux plus grands talents: en un mot, comme la vraie métaphysique, la vraie philosophie, s'étend à tout: c'est un aigle planant sur le globe entier. des connoissances humaines (1).

(1) On peut dire que la vraie métaphysique (ou la partie théorique de la vraie philosophie) est l'art de bien voir en

Sa nature; étendue de son domaine.

Cette précieuse méthode, qui consiste à remonter à la génération de tout, est destinée à nous montrer nettement et en détail, les parties qui composent les objets de nos con

toutes choses: ainsi, être bon métaphysicien, c'est être bon géomètre, bon mécanicien, bon joueur d'échecs, bon chymiste, bon astronome, bon ingénieur, bon administrateur, bon général, bon ministre, ou grand homme d'état, etc. en un mot, penseur exact ou bon analyste en quelque genre que ce soit ainsi Newton, Francklin, Smith, Washington, Locke, Condillac, Bailly, Lavoisier, Condorcet, etc. étoient tous, chacun dans leur genre, de grands métaphysiciens. Bonaparte, Lagrange, la Place, Monge, Fourcroy, Cabanis, etc. enfin, tant de savans qui honorent l'Europe et dont les noms se lient naturellement à ceux de ces illustres morts, sont comme eux des métaphysiciens et des philosophes trèsdistingués, c'est-à-dire, d'excellens esprits qui savent réunir la précision, l'étendue et la profondeur des vues.

Chaque homme, suivant son état, sa profession, la place qu'il occupe dans la société, a un fond de connoissances, un horizon d'idées plus ou moins étendu; mais l'art de les mettre en valeur et en œuvre (en les combinant et les analysant bien), est toujours le même; la chaîne et la trame, ainsi que le tissu des idées varie, suivant les élémens ou fils qu'on emploie; mais l'art du tisserand ne change point: tout mon livre offre le développement de cette vérité.

ce mot si

J'aurois pu substituer une autre expression décrié de métaphysique, mais j'ai cru qu'il valo mieux le rappeler à sa vraie et naturelle signification, que de faire un mot nouveau: je sais bien qu'on a inventé depuis peu celui d'idéologie; mais il me paroît beaucoup trop borné, car l'analyse des idées ne forme qu'un élément de l'anatomie

noissances et nos connoissances elles-mêmes : considérée, non comme l'analyse des êtres impossibles ou imaginaires, mais comme celle du monde réel, elle embrasse à-la-fois l'homme, les arts, les sciences, l'univers et la nature : elle est, pour le corps entier des langues et des idées humaines, ce que l'anatomie est

morale de l'homme, dont les deux autres sont la théorie des sensations, et celle des sentimens moraux.

L'analyse du grand corps de l'univers et de celui des sciences qui en dérive, peut, comme celle du corps humain, se diviser en deux parties: La physique qui montre les élémens, les propriétés et les lois de la matière, et comprend la théorie complète des corps considérés comme inanimés ou insensibles; et la métaphysique qui développe la génération et les lois de l'intelligence et de la volonté, et embrasse l'analyse générale des corps animés ou sensibles. Alors tout ce qui ne seroit pas du ressort de la physique, appartiendroit à la métaphysique et réciproquement: mais en considérant la ressemblance frappante de l'analyse matérielle avec celle des sensations et des idées, on sent qu'il n'existe au fond qu'une seule méthode analytique, premier et unique fondement de toutes les sciences.

Nota. Observons en passant qu'il existe la plus grande analogie et la plus étroite alliance entre les idées exprimées par ces mots : vérité, raison, philosophie, science, justice, vertu, sagesse. La VÉRITÉ consiste dans le tableau précis des faits, et les rapports exacts des objets et des idées. La RAISON est chez les hommes la vue nette de ces faits, et l'expression rigoureuse ainsi que la combinaisou exacte des idées et des rapports en question; c'est la vérité apperçue et manifestée par les signes. La PHILOSOPHIE, basée sur l'ensemble des faits exacts et des jugemens vrais en tout genre,

pour le corps humain, et la physique et la chymie, pour tous les corps naturels : elle analyse et décompose tout, afin de montrer clairement ce que chaque idée, chaque objet renferment. En examinant ainsi attentivement la construction primitive de chaque chose, elle apprend à la recomposer telle qu'elle étoit, et souvent mieux qu'elle ne l'étoit ; elle montre

pra

est une raison universelle. La SCIENCE est l'universalité de nos vraies connoissances. La JUSTICE est la conformité des actions humaines à la raison, ou, si l'on veut, c'est la tique de la raison. La VERTU n'est que le Courage et l'habitude d'être constamment juste ou raisonnable. Et la SAGESSE (trésor et substance du vrai philosophe), est l'heureux résultat de toutes ces grandes qualités morales, qui, sous des expressions multiples, ont, comme l'on voit, nombre d'élémens communs ou fort ressemblans, et souvent une même signification.

Ainsi donc un sage, un philosophe, un ami de la vérité, un homme raisonnable, juste ou vertueux, ne sont au fond et jusqu'à un certain point que le même homme; et c'est dans ce sens que j'emploierai toujours ces mots-là. Je sais que ce sont là des titres que bien des gens usurpent, et dont ils se servent pour masquer leur ignorance, leur méchanceté ou leur vices; c'est à eux que l'on pourroit appliquer ce passage Video meliora proboque, deteriora sequor. En général, il en est des philosophes comme des amis dont parloit Socrate :

Rien n'est plus commun que le nom,

Rien n'est plus rare que la chose. LAFONT.

mais l'honnête homme et le vrai philosophe sont les seuls qui, conformant leur conduite à leurs principes, réunissent et méritent ces noms glorieux.

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