Page images
PDF
EPUB

» A ce sujet, voiei un trait d'histoire que je prends la liberté de recommander à l'attention de M. Troplong. En 1814, les propriétaires de bois persuadèrent à Louis XVIII qu'il fallait grandement élever le droit sur les fers, et à cet effet on présenta aux chambres un projet de loi qui portait le droit à 165 fr. au lieu de 44. Mais le baron Louis, alors ministre des finances, qui avait à motiver le projet, disait, le 20 août 1814, dans son exposé des motifs : « Nous espérons pouvoir, aux sessions prochaines, de» mander la réduction successive du tarif que nous proposons aujourd'hui » sur les fers. » Or, pour savoir comment cette promesse a été tenue, il suffit de rappeler le montant du droit actuel sur les fers que nous citions tout à l'heure. Au lieu de décroître successivement aux sessions prochaines, le droit a augmenté, si bien qu'après trente-sept ans révolus, il est à 206 francs au lieu de 165 fr.

>> Ainsi le tarif de l'Empire, dont on se prévaut pour légitimer le tarif commercial auquel aujourd'hui la France est soumise, était beaucoup plus libéral que le tarif actuel; il l'était particulièrement pour les subsistances et les matières premières, et les amis de la liberté du commerce se contenteraient en ce moment du rétablissement du tarif de l'Empire.

» Reste à savoir ce que pensait l'empereur quand il était à Sainte-Hélène. C'est ici, monsieur, que je réclame votre attention spéciale. On dit communément que l'empereur, livré à lui-même et à ses grandes pensées d'avenir, était prohibitionniste. Il n'en est rien, et c'est une injure à sa mémoire. L'empereur Napoléon pensait que le système restrictif convient à une nation peu avancée en industrie, comme l'était la France en 1789, par l'effet des entraves que mettait partout l'institution antilibérale des maîtrises et des jurandes, comme elle l'était à plus forte raison sous l'Empire, après que tous les ateliers eurent été bouleversés par la révolution.

» En cela, il pensait comme Colbert, qui avait averti les manufacturiers de son temps qu'ils devaient considérer le régime protecteur par lui établi comme les lisières dont on soutient les pas de l'enfance. Par la pente de son caractère, qui ne s'accommodait pas des demi-moyens et des tempéraments et recourait volontiers aux extrêmes, l'empereur Napoléon Ier allait, en fait de protection, plus loin que Colbert, en ce sens qu'il admettait que la protection pût être portée jusqu'à la prohibition, qui n'entra jamais dans les plans de Colbert, comme on peut s'en assurer en lisant ses tarifs.

>>> La mise en œuvre, à titre temporaire, de la protection plus ou moins outrée, ou même de la prohibition appliquée à tel ou tel article, voilà le vrai sens de l'entretien du 23 juin 1816, qui est cité dans le rapport de M. Troplong d'après le Mémorial de Sainte-Hélène. Mais, à quelques pages de là, M. Troplong pouvait trouver dans ce même Mémorial l'opinion formelle de l'empereur sur le système commercial qui, dans un très prochain avenir, devait être adopté par la France. Qu'il prenne la peine d'y lire l'entretien du 12 juin 1816, et il y acquerra la preuve que le glorieux captif recommandait à la France, pour une époque prochaine, la liberté du com

merce, la liberté des échanges; car ce mot, dont les intéressés sont parvenus à faire un épouvantail pour nos manufacturiers et nos agriculteurs, a été inventé par l'empereur Napoléon.

>> On trouve en effet dans le Mémorial de Sainte-Hélène, à la date du mercredi 12 juin 1816, ces paroles mémorables par lesquelles l'empereur terminait son jugement du système restrictif, en vertu duquel chaque nation s'isolait des autres, sauf à se ménager des débouchés dans des colonies dont on se réservait le commerce et la navigation: Nous devons nous rabattre désormais sur la libre navigation des mers et l'entière liberté d'un échange universel. Jamais M. Cobden, jamais aucun professeur d'économie politique ne s'est servi d'une formule aussi nette et aussi absolue. Il n'y a rien au-delà de l'entière liberté d'un échange universel. »

Le sénatus-consulte du 23 décembre, portant interprétation et modification de la Constitution du 14 janvier 1852, confère au chef de l'État l'omnipotence en matière de tarifs de douanes, puisque les modifications stipulées dans les traités de commerce faits en vertu de l'article 46 de la Constitution ont force de loi. Cette extension de pouvoir, dans le sens de la liberté, a éveillé d'ombrageuses défiances et des inquiétudes qui ont trouvé, jusque dans le journal le Siècle, un auxiliaire plus ardent qu'éclairé.

Très différentes sont nos craintes! Nous ne craignons pas qu'on abuse de ce pouvoir si grand, demandé et obtenu; ce que nous craindrions plutôt, c'est qu'on n'en usât pas!

En effet, ce qui est difficile, ce n'est point d'étendre le pouvoir, c'est de l'exercer.

M. Léon Faucher et M. Buffet étaient et sont encore libreéchangistes; ils ont été tous les deux ministres, l'un de l'intérieur, l'autre du commerce; qu'ont-ils fait ?

QU'EST-CE QUE LA LIBERTÉ ?

"Dites à mon fils qu'il donne à la nation autant de LIBERTE que je lui ai donné d'ÉGALITÉ. »

NAPOLEON à Sainte-Hélène.

«Nulle lumière persévérante, éclairant tous les recoins d'un vaste empire, sans la LIBERTÉ ABSOLUE, sans limites, de la presse. La liberté de la presse est le triomphe de la vérité; c'est elle qui doit porter la lumière dans toutes les consciences, »

JOSEPH-NAPOLEON BONAPARTE.

"La liberté est comme un fleuve pour qu'elle apporte l'abondance et non la dévastation, il faut qu'on lui creuse un lit large et profond. Si, dans son cours régulier et majestueux, elle reste dans ses limites naturelles, les pays qu'elle traverse bénissent son passage; mais si elle vient comme un torrent qui déborde, on la regarde comme le plus terrible des fléaux; elle éveille toutes les haines, et l'on voit alors des hommes, dans leur prévention, repousser la liberté parce qu'elle détruit, comme si l'on devait bannir le feu parce qu'il brúle, et l'eau parce qu'elle inonde. "

LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE. Idées napoléoniennes.

11 janvier 1853.

Qu'est-ce que la liberté ? - Telle est la question que le Pays effleure. Il conclut en ces termes :

« Ce n'est pas sur le terrain de la liberté dans son sens absolu, c'est sur le terrain de l'utilité sociale limitée elle-même par le droit de conservation et de défense légitime, et par les principes de la morale éternelle, qu'il faut placer le débat, et c'est là ce que ne font jamais ceux qui, faute de définir le mot liberté, en font sans cesse un drapeau et un prétexte pour les révolutions. »

Définir ainsi la liberté : « L'utilité sociale limitée elle

» même par le droit de conservation et de défense légitime, » c'est admettre ce que nous n'avons jamais admis, c'est admettre qu'après avoir proclamé le suffrage universel, le gouvernement provisoire, l'Assemblée constituante de 1848 avaient le droit de poser des limites à la liberté du vote des électeurs, en déclarant inéligibles le neveu de l'empereur Napoléon et les fils et les petits-fils du roi Louis-Philippe ; c'est admettre que le général Cavaignac ne faisait qu'exercer le droit de conservation et de défense légitime en ordonnant d'arrêter et de conduire à la Conciergerie M. de Persigny, le même jour où l'on arrêtait et où l'on conduisait à la même prison le rédacteur en chef de la Presse, de ce journal qui, le 25 mai 1848, avait été le seul qui osat donner l'hospitalité de sa publicité à la lettre datée de Londres, 23 mai 1848 (1); c'est admettre que, le 26 octobre 1848, le général Cavaignac, président du conseil, chargé du pouvoir exécutif, aurait pu, aurait dû décréter de nouveau la suppression de la Presse, de ce journal qui, le premier, devançant et entraînant le Constitutionnel, n'avait pas. craint de poser la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte en concurrence de celle de son compétiteur, alors tout-puissant; c'est admettre que, voyant dans l'élection du 10 décembre 1848 un danger pour la conservation de l'existence de la République, unanimement acclamée le 4 mai par les neuf cents élus du suffrage universel, le général Cavaignac, subordonnant la liberté électorale à l'utilité sociale, et prétextant le cas de « légitime défense, » aurait pu, le 2 décembre 1848, faire décréter par l'Assemblée obéissante, ou décréter lui-même, la prorogation de sa dictature pour dix années; c'est admettre qu'après avoir fait transporter en Algérie sept mille combattants de juin, M. le général Cavaignac aurait pu faire transporter ainsi tout Français suspect de n'être pas républicain, et d'être légitimiste, orléaniste ou bonapartiste; or, c'est ce qu'en 1848 nous contredisions de la manière la plus formelle et la plus

(1) OEuvres de N.-L. Bonaparte, t. 1, p. 25.

énergique, avec l'adhésion sympathique de tout ce qui, à cette époque, était demeuré bonapartiste, orléaniste ou légitimiste sans oser l'avouer! Les circonstances changent, mais les principes ne changent pas. S'ils changeaient, ils ne seraient pas des principes, ils seraient des expédients. La proscription mutuelle des personnes ou des croyances se décorant du nom de liberté limitée est une liberté dont nous avons toujours nié la légitimité. Nous pensons en 1853 ce que nous pensions en novembre 1848, lorsque nous écrivions : « La liberté est et doit être l'assurance mutuelle de » tous les partis contre les risques de la politique orageuse; >> aucun ne l'ayant compris, chaque parti à tour de rôle ser>> vira à détruire l'autre, jusqu'à ce qu'ils se soient tous >> ainsi successivement éteints. »

Tous les événements qui se sont succédé depuis l'époque où nous nous exprimions ainsi, loin d'ébranler en nous cette conviction, n'ont fait que la corroborer encore.

Jamais elle ne fut plus ferme !

Il y a, nous ne l'ignorons pas, bon nombre de républicains de la veille qui déplorent qu'on n'ait pas prévenu le 2 décembre 1851 par un 2 décembre 1848, mais c'est là un regret que nous ne saurions partager. Nous croyons, au contraire, qu'un pareil acte eût été la condamnation et la flétrissure de l'idée républicaine. Si l'idée républicaine a survécu dans des cœurs qui, le 24 février, n'étaient pas républicains, c'est qu'elle est restée pure d'une atteinte qui eût subordonné la liberté électorale à a l'utilité sociale. »

Il y a des questions que le Pays et le Constitutionnel, M. Cohen et M. Cauvain, feraient peut-être sagement de s'abstenir de raviver. Que pourront-ils jamais dire de plus que ce qu'a dit le Siècle en faveur de la Nécessité qui n'a qu'à parler et à se montrer pour obliger la Liberté à se taire et à disparaître ?

« PreviousContinue »