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COMMENT ON ENTEND LA LIBERTÉ RÉCIPROQUE.

8 novembre 1852.

En novembre 1851, une discussion avait lieu entre les défenseurs de la République expirante et les partisans des deux royautés déchues. Ceux-ci soutenaient qu'ils avaient le droit de revendiquer, sous la République, le rétablissement de la Monarchie, mais que sous la Monarchie ses adversaires n'auraient pas le droit de revendiquer le rétablissement de la République. C'est ainsi que les royalistes entendaient la réciprocité en novembre 1851, alors qu'ils qualifiaient de « disposition monstrueuse et d'attentat à la >> liberté nationale» l'art. 111 de la Constitution de 1848, qui exigeait pour la révision 500 votants au moins, et les trois quarts des voix du nombre des votants!

Eh bien! l'Univers et M. Gondon entendent, en novembre 1852, la liberté réciproque des croyances religieuses exactement comme l'Opinion publique et M. Nettement entendaient, en novembre 1851, la liberté des croyances politiques.

On lit dans l'Univers:

«La nouvelle Conférence formée à Dublin pour revendiquer, au nom de l'Irlande, l'égalité de cultes contre le monopole anglican, est surtout en butte aux sarcasmes du protestantisme, qui a fait de la cause de Madiaï sa propre cause. On cherche des analogies entre la position des catholiques irlandais et celle des rares protestants qui peuvent se trouver en Italie. De quel droit les Irlandais demanderaient ils l'égalité des cultes,

quand cette égalité n'existe ni en Toscane, ni à Naples, ni dans les Etats romains?

» Pourquoi les catholiques d'Irlande ne répondraient-ils pas à leurs adversaires : « Nous demandons l'égalité religieuse, parce que nos lois poli»tiques ne permettent pas de nous la refuser sans injustice; nous la de» mandons, parce que les principes religieux de nos adversaires nous au» torisent à glorifier Dieu selon l'inspiration de notre conscience et comme »> nous l'entendons. En Toscane, au contraire, la loi politique et la loi re»ligieuse s'opposent à ce que le gouvernement reconnaisse l'égalité que nous pouvons revendiquer comme droit. Il y a entre les deux pays cette » différence, que vous ne pouvez, sans blesser vos principes politiques et » religieux, nous refuser ce que nous demandons, tandis que le gouverne>> ment toscan ne peut pas, sans violer ces mêmes principes, vous concé» der ces mêmes libertés. »

» Là est toute la question. Quand les catholiques invoquent la liberté de conscience, ils ne font qu'emprunter les armes que leurs adversaires leur fournissent; car l'Église n'admet pas et ne peut pas admettre cette liberté comme l'entendent les protestants, et elle ne saurait consacrer l'égalité des cultes sans se renier elle-même. C'est pourquoi les gouvernements qui tiennent à rester liés à l'Église maintiennent leurs constitutions politiques en harmonie avec les lois de la religion professée par le peuple et le souverain du pays.

» Défendre les lois toscanes n'implique pas que ces lois doivent et puissent être appliquées à des pays qui sont dans des conditions diamétralement opposées. Un homme dont les protestants ne contesteront pas l'autorité a mis en relief ces différences avec une élévation de vues et une netteté de perception que nous nous plaisons à rappeler. Le commissaire du roi, lors de la discussion de la loi sur la liberté de la presse du 17 mai 1819, l'illustre Cuvier, siégeant à côté de M. Guizot, dans la séance de la chambre des députés du 15 avril, s'exprimait ainsi sur l'état de la France :

« L'unité n'existe plus chez nous; le doute s'est fait entendre. L'incrédulité même a élevé la voix. Quand des lois sévères ont voulu le réprimer, des troubles civils, des guerres sanglantes en ont été le résultat, et quand des lois plus douces leur ont succédé, elles ont été éludées. Le mal est consommé; les ouvrages publiés contre les plus saines doctrines sont entre les mains de tout le monde; aucune action de la loi ne peut les détruire. La discussion, le raisonnement sont les seules armes qui nous restent pour le triomphe de la vérité.

» Je ne crois pas qu'il existe parmi nous, messieurs, quelqu'un qui doute du bonheur d'un pays où régneraient la même croyance, la même religion, les mêmes lois spirituelles et temporelles, et par conséquent les mêmes sentiments. Si cet État existait, ce serait un grand criminel que celui qui tenterait de le troubler, et, s'il était possible de le maintenir, on serait tenté de pardonner à saint Louis et à d'autres monarques, ses successeurs, leurs actes pour maintenir une telle union. »

(1) Moniteur du 16 avril 1819.

Ainsi la question est nettement posée par l'Univers les catholiques ont le droit de proscrire les protestants, mais les protestants n'ont pas le droit de persécuter les catholiques, parce que les premiers admettent la liberté d'examen, tandis que les seconds ne l'admettent pas. L'Univers invoque l'autorité de Cuvier; nous lui opposons celle de saint Athanase disant :

«Le propre de la vraie religion n'est pas de convaincre, mais de persuader. C'est ce que Jésus-Christ voulait nous faire entendre quand il disait au peuple « Si quelqu'un veut venir après moi, » et à ses apôtres : « Et >> vous aussi, vous voulez donc me quitter? »

Celle de saint Chrysostome:

« Si quelqu'un ne veut pas croire, qui est-ce qui peut l'y contraindre? (Si quis nolit credere, quis habet cogendi jus?) »

Celle de Tertullien :

"Il n'y a que l'impiété qui ôte la liberté de religion et qui prétende enchaîner les opinions sur la divinité, en sorte qu'on ne puisse adorer le Dieu qu'on veut et qu'on soit forcé de croire celui qu'on ne veut pas. Que nous importent les sentiments des autres? La force n'appartient point à la religion; on doit l'embrasser de plein gré et non pas contraints (ad scapulam). »

Celle de saint Augustin :

«Que ceux-là sévissent contre vous qui ignorent combien il est difficile de découvrir la vérité et d'éviter les erreurs. Pour moi, je ne puis sévir contre vous; je vous dois les mêmes égards qu'on me devait et qu'on a eus pour moi, lorsque j'étais comme vous aveugle et insensé.» (Contrà Munich.)

Celle de Lactance :

« Il faut défendre la religion, non par le meurtre, mais par le martyre; non par la persécution, mais par la patience; non par le crime, mais par la foi... Si vous voulez défendre la religion par les supplices, vous ne la défendez pas, vous la souillez, vous la transgressez. Rien n'est si volontaire que la religion... Nous ne demandons pas qu'on adore Dieu malgré soi; et si quelqu'un ne le fait pas, nous n'avons pas contre lui de colère... C'est dans la religion, dit-on ailleurs, que la liberté a établi sa demeure. » (Lib. 10, inst. cap. 2 et c. 7.)

Celle de saint Hilaire à l'empereur Constance :

« Vous comprenez qu'on ne doit contraindre personne, et vous ne cesse

rez de veiller à ce que chacun de vos sujets jouisse des douceurs de cette liberté... Permettez aux peuples de prendre pour guides ceux qu'ils voudront. Il n'y aura alors ni divisions ni murmures... Dieu a plutôt montré qu'on devait le connaître qu'il ne l'a exigé... Il a rejeté tout hommage forcé. Si l'on employait la violence en faveur de la vraie foi, les évêques s'élèveraient et diraient : « Dieu est le Dieu de tous les hommes; il n'a >> pas besoin d'un hommage involontaire; il rejette toute profession forcée; >> il ne faut pas le tromper, mais le servir. C'est pour nous, et non pour >> lui que nous devons l'adorer. » Je ne puis recevoir que celui qui veut, écouter que celui qui prie, mettre au nombre des chrétiens que celui qui croit. O douleur! dit il encore, les hommes pratiquent la religion de Dieu! »

Celle de Fénelon :

« Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté du cœur; la force ne peut jamais persuader les hommes; elle ne fait que des hypocrites. Quand les rois se mêlent de la religion, au lieu de la protéger, ils la mettent en servitude; accordez donc à tous la tolérance civile, non en approuvant tout comme indifférent, mais en souffrant avec patience ce que Dieu souffre, et en tâchant de ramener les hommes par une douce persuasion. >>

Si le catholicisme est la vérité, comme doit le croire l'Univers, que peut-il avoir à craindre de l'erreur? La vérité est à l'erreur ce que la lumière est à l'ombre, elle la dissipe. Que la vérité fasse comme fait la lumière : qu'elle brille et ne proscrive pas.

Il fut un temps où il était interdit, sous les peines prononcées contre l'hérésie, de soutenir que c'était la terre qui tournait; est-il interdit maintenant de soutenir qu'elle ne tourne pas ? Non; pourquoi ? Parce que ce qui caractérise la vérité c'est de ne pas redouter la controverse. Jésus-Christ disait, et il avait raison de dire :

« Si j'ai mal parlé, répondez-moi; si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? >>

Après Jésus-Christ, Arnobe, que la controverse avait converti au christianisme, disait, à l'occasion d'un ouvrage de Cicéron: De naturâ Deorum, dont les Gondon et les Veuillot de cette époque demandaient au Sénat la condamnation et la suppression :

« Si vous croyez sincèrement à votre religion et à vos dieux, réfutez

Cicéron; prouvez qu'il a tort. Mais supprimer ses œuvres, empêcher de les lire, ce n'est pas défendre les dieux, c'est avoir peur de la vérité. » (Intercipere scripta et publicatum velle submergere lectionem, non est deos defendere, sed veritatis testificationem timere.— ARNOBE, Traité contre les gentils, liv. 3, pag. 103.)

Si le catholicisme, selon l'expression d'Arnobe, n'a pas peur de la vérité, pourquoi donc n'admet-il pas la réciprocité?

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