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LE PILLAGE ET L'ÉGORGEMENT UNIVERSEL.

A M. Granier de Cassagnac.

I.

31 août 1852.

LE GOUVERNEMENT DU 2 DÉCEMBRE DEVANT LA RAISON ET DETel est le titre d'une série d'articles

VANT LA MORALE:

que vous publiez.

Non moins que vous je suis opposé à la séparation du pouvoir en deux branches rivales pouvoir législatif et pouvoir exécutif, mais sous la réserve expresse et fondamentale de la séparation entre ce qui est collectif et ce qui est individuel. Oui, il ne doit plus y avoir qu'un seul pouvoir, le pouvoir exécutif, mais à la condition que ce pouvoir, révocable, sera étroitement renfermé dans la gestion de la CHOSE publique et ne pourra jamais restreindre la liberté privée, qui est le droit inviolable de tous et la propriété légitime de chacun.

Pour justifier ce que vous appelez le Coup de foudre du 2 décembre, vous dites:

« Considérablement affaibli en 1815, modéré en 1830, et ayant, malgré cela, conduit à deux révolutions, le principe de l'initiative des Assemblées s'étala triomphalement dans la Constitution de 1848. A quel résultat avait-il conduit la France en deux années? A un système de pillage et d'égorgement universel, dont l'organisation était prête et dont le mot d'or

dre était donné, lorsque la France fut réveillée au bord de l'abîme par le coup de foudre du 2 décembre. »

Si la loi du 31 mai n'eût pas été présentée, votée, promulguée, si elle eût été abrogée, qui vous donne le droit, monsieur, de penser et de dire que les élections du 9 mai 1852 eussent été « le pillage et l'égorgement universel ? » La Nation française est-elle donc une nation de pillards et d'égorgeurs? La Nation française est-elle donc une nation de lâches? En admettant que tous les expulsés, tous les transportés, tous les internés après le 2 décembre, au nombre de 10 MILLE environ, fussent des pillards et des égorgeurs, de l'autre côté de la balance n'y avait-il pas 10 MILLIONS d'électeurs qui n'eussent pas souffert qu'on les pillat et qu'on les égorgeàt? Que pouvaient 10 mille contre 10 millions? Et encore est-ce là une hypothèse gratuite et injurieuse dont l'histoire fera justice, quand elle dira quels furent ces transportés, quels furent ces expulsés, au nombre desquels sont quatre généraux : le général Bedeau, le général Changarnier, le général de Lamoricière, le général Leflô!

Je ne parle pas de Victor Hugo, à qui vous devez tant!

Vous ne vous contentez pas d'insulter dix mille de vos concitoyens, vous insultez, en les comptant pour 000,000 les 21,759 gendarmes qui composent la gendarmerie, et les 400,000 hommes de troupes qui composent l'armée ! 400,000 hommes de troupes et 22,000 gendarmes, n'était-ce donc rien? N'était-ce pas une force suffisante pour maintenir le respect de la loi? Si cette force armée a suffi le 2 décembre 1851, lorsqu'il y avait à prévoir et à craindre un refus universel ou partiel de concours judiciaire ou administratif, comment cette force n'eût-elle pas suffi le 9 mai 1852, lorsqu'il n'y avait qu'à se renfermer dans l'observation scrupuleuse de la Constitution? Comment le péril eût-il été plus grand le 9 mai 1852, quand on avait tout pour soi Constitution, loi, magistrature, que le 2 décembre 1851, quand on avait contre soi la Constitution, la loi, et qu'on pouvait redouter la magistrature qui avait siégé à Bourges

et à Versailles, où elle avait condamné, à Bourges, Barbès et Blanqui, à Versailles, Guinard et Ledru-Rollin?

Vous qui siégez aujourd'hui sur les bancs de l'enceinte législative et autour de la table d'un conseil général, vous dites, vous osez dire que la Constitution de 1848 avait conduit la France à un système de « pillage et d'égorgement universel!» Vous en avez menti, monsieur; et ce démenti, ce n'est pas moi qui vous le donne, c'est l'élection du 10 décembre 1848, qui a eu lieu en vertu de la Constitution du 4 novembre 1848, votée par une assemblée constituante; c'est l'élection du 13 mai 1849, qui a également eu lieu en vertu de la même Constitution; ce sont toutes les élections partielles qui ont eu lieu en 1849, en 1850 et en 1851.

.Le 10 décembre 1848, qui donc a pillé, qui donc a égorgé? Le 13 mai 1849, qui donc a égorgé, qui donc a pillé ?

En avril 1848, en décembre 1848, en mai 1849, en mars et avril 1850, en décembre 1851, en février 1852, l'exercice du suffrage universel, avant et après la Constitution de novembre 1848, avant et après la Constitution de janvier 1852, a-t-il donc donné lieu à un seul fait de pillage, à un seul fait d'égorgement?

Pour flétrir ainsi le suffrage universel, qui êtes-vous donc, monsieur, et faut-il vous rappeler que vous êtes l'un de ses élus? Faut-il vous rappeler que si vous êtes député et membre d'un conseil général, vous n'êtes député et membre d'un conseil général que par le suffrage universel? Faut-il vous rappeler que si le neveu de l'empereur est rentré en France, en 1848, et que s'il y est, en 1852, le chef de l'État, il n'est rentré en France que rappelé par l'opiniâtreté du suffrage universel, et n'y a été élu président de la République que par l'immense majorité de cette Nation, que vous ne craignez pas de représenter devant l'Europe comme étant une nation de « pillards et d'égorgeurs?

Honte au journal qui, s'appelant le Pays, peut ainsi calomnier la France!

Non, non, cent fois non, dix millions de fois non, l'élec

tion du 9 mai n'eût été ni le pillage ni l'égorgement universel :

Premièrement, parce que la France n'est pas une nation d'égorgeurs et de pillards;

Deuxièmement, parce que l'immense majorité des électeurs, ainsi qu'elle l'a prouvé en avril 1848, avait le plus grand intérêt aů maintien de l'ordre et à l'affermissement de la République ;

Troisièmement, parce que c'eût été devant l'Europe et devant l'Histoire l'honneur de l'Élu du 10 décembre 1848, de défendre intrépidement l'ordre public et le suffrage universel s'ils eussent été attaqués;

Quatrièmement, parce que, dans toutes les communes, la gendarmerie eût fait son devoir, et qu'aucun péril n'eût été au-dessus de son courage;

Cinquièmement, et enfin, parce que l'armée a prouvé à quel point elle portait l'esprit de discipline militaire et la pratique de l'obéissance passive!

Armée, gendarmerie, Élu du 10 décembre, administration et magistrature, suffrage universel et corps électoral composé de 10 millions d'électeurs, se réunissent donc pour dire, à l'unanimité, que lorsque vous écrivez que l'élection du 9 mai 1852 eût été le pillage et l'égorgement universel, vous les calomniez et vous mentez!

II.

1 septembre 1852.

<< Il existe donc un pays dans notre Europe civilisée où » la liberté de l'écrivain va jusqu'au droit de diffamation! » Il existe une presse qui, au lieu de prêcher la concorde » et la paix, fait métier d'insultes et de calomnies; qui, au » lieu d'apaiser des haines expirantes, s'étudie à les irriter, » à les envenimer chaque jour.

>> Oui! ce pays existe; il se nomme la France!

» Oui, cette presse existe; elle se produit à Paris!

>> Chose plus grave! c'est un journal sérieux, l'organe re>> connu de certain parti politique, c'est le Pays, qui a >> adopté depuis longtemps ce système d'injures perfide»ment calculées et audacieusement écrites.

» Il y a peu de jours, la Presse a dû protester au nom de » la dignité de la France et de son gouvernement contre >> les imputations malveillantes de la feuille française.

» Et hier, nous trouvons dans les colonnes du Pays de >> nouveaux outrages, non seulement contre l'homme que »le suffrage populaire a proclamé chef de l'Etat, mais en» core contre la nation tout entière. >>

Les lignes qu'on vient de lire sont textuellement celles d'un article publié en tête du journal le Pays.

Nous n'y avons changé que les six mots soulignés.
Où il y avait l'Angleterre nous avons mis la France.
Où il y avait Londres nous avons mis Paris.
Où il y avait le Times nous avons mis le Pays.

Où il y avait le Moniteur nous avons mis la Presse. Enfin, où il y avait britannique nous avons mis française. Dire que « la Constitution de 1848 avait conduit la France » à un système de pillage et d'égorgement universel, » quel outrage! non seulement contre l'homme que le suffrage populaire a proclamé chef de l'État, mais encore contre la nation tout entière !

C'est faire supposer que le 9 mai 1852, l'Élu du 10 décembre 1848 eût manqué du courage nécessaire pour faire respecter la loi et maintenir l'ordre, dans le cas improbable où l'ordre eût été troublé et où la loi eût été méconnue!

C'est faire supposer que la France se compose, en immense majorité, de pillards et d'égorgeurs, puisque c'est admettre que 400,000 hommes de troupes parfaitement disciplinées et 22,000 hommes de gendarmerie eussent été impuissants à contenir, à combattre, à réprimer le pillage et Fégorgement UNIVERSEL!

Dire qu'en mai 1852 la France eût été livrée au « pillage » et à l'égorgement universel, » est-ce donc prêcher la

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