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poser un peuple par moitiés égales de monarchie et de démocratie, d'autorité et de liberté. Les Sirènes et les Tritons n'ont existé que dans la fable: qui a jamais vu un être vivant qui fût une femme par la moitié du corps et par l'autre moitié du corps un poisson? Eh bien! un peuple souverain et sujet, un peuple déléguant et conservant sa souveraineté, est une création qui appartient au même ordre de conception. C'est de l'idéal d'écoliers. Cette méprise dans laquelle la presse est généralement tombée s'explique par l'opiniâtreté des impressions de collége. Au lieu de prendre le chemin de la politique, elle a continué, sans s'en apercevoir, à marcher dans la voie de la mythologie. Mais c'est là une méprise à laquelle il est impossible que la presse ne soit pas bientôt arrachée par l'évidence.

Aussitôt que cette méprise aura cessé d'exister, les questions sérieuses se poseront sérieusement, et la discussion qui ne portait pas de fruits en portera abondamment.

Mais aucune question de quelque importance, question d'enseignement, question de constitution de la commune, question de réforme de l'impôt, question de réduction du budget, question de simplification administrative, question de crédit foncier, question de capitalisation de l'épargne collective, question du maintien ou de la suppression de l'assistance publique, etc., etc., ne pourra se résoudre avant que cette puérile méprise ait été effacée.

Journaux que mine l'inconséquence et que fortifierait la logique, journaux qui ne voulez pas mourir de consomption, journaux, enfin, qui voulez vivre, soyez ce que vous devez être, et choisissez entre l'un ou l'autre de ces deux camps: le camp de ceux qui, voulant l'ancienne forme de gouvernement, doivent vouloir conséquemment l'ancienne société, fondée sur l'inégalité des partages dans les successions, l'inégalité des citoyens devant la loi, l'unité d'un culte exterminateur etc., etc., et le camp de ceux qui, ne voulant pas de la résurrection de l'ancienne société, doivent vouloir conséquemment que la nouvelle société découvre enfin sa forme définitive de gouvernement, quelle qu'elle doive être.

Journaux, vous ne pouvez plus être un écho: soyez done une voix ou soyez le silence!

Journaux, vous ne pouvez plus servir d'instruments aux partis; servez donc d'araires aux progrès, ou rentrez dans le néant, d'où vous a fait sortir la Révolution de 1789!

Le Corps législatif a clos hier sa première épreuve. Aujourd'hui la vôtre commence!

Ah! n'essayez pas pour vous y soustraire de dire que la liberté vous manque « rien n'est obstacle qui ne soit moyen. »

QU'EST-CE QUE LE PEUPLE?

I.

1er juillet 1852.

Le Journal des Débats a jeté dans la discussion éteinte cette question refroidie: QU'EST-CE QUE LE PEUPLE?

Mais M. Saint-Marc a trouvé son maître dans M. SaintAlbin! M. Saint-Marc et le Journal des Débats sont de la famille des Tritons: tête de roi et queue de peuple; par le haut du corps, apôtres monarchiques, et par le bas du corps, complices révolutionnaires; en résumé, ni hommes ni poissons; goguenardant le suffrage universel et prônant le cens électoral; repoussant la souveraineté du nombre quand elle est l'universalité et l'admettant quand elle est la minorité! Aussi faut-il voir comment M. SaintMarc et le Journal des Débats sont étrillés par M. SaintAlbin et l'Assemblée nationale:

«Comment peut-on, presque dans la même ligne, protester contre les docteurs du droit divin et contre les modernes, qui ont voulu à toute force mettre le droit sur la terre? Aussi arrive-t-on à cette conclusion: « La souveraineté sur la terre n'est qu'une audacieuse et périssable nsur>>pation.» Piperie de mot. La souveraineté sur la terre est une usurpation, si l'homme se croit souverain pour son propre compte; mais si l'homme se rappelle qu'il a été établi souverain par Dieu, c'est une délégation, et l'exercice de l'autorité est légitime. Le père lui-même n'a pas un autre pouvoir sur son enfant. Bossuet dit bien aussi : « Dieu est le vrai roi. »

(Politique tirée de l'Ecriture, liv. II, art. 1er, 1re proposition.) Mais il ajoute presque aussitôt : « C'est lui qui établit les rois. » (2° proposition.)

A la bonne heure! Voilà du pur droit divin, et nous ne pouvons qu'applaudir à ce langage, qui est le désaveu de toutes les doctrines révolutionnaires professées pendant dix-huit ans à la tribune par M. Guizot! L'illustre orateur avait donc tort contre nous, en 1844, quand il appliquait le fer chaud sur l'épaule des légitimistes, à leur retour de Belgrave-Square, vigoureusement assisté dans cette œuvre par M. Saint-Marc Girardin, qui s'exprimait ainsi :

M. SAINT-MARC GIRARDIN: « Cette tentative, faite au nom d'un droit héréditaire solennement aboli par l'acte de la volonté nationale en 1830, cette tentative, nous l'avons qualifiée de manifestation COUPABLE, parce que la commission a vu là une pensée de contre-révolution. La commission ne pouvait qualifier autrement ce qui s'est passé à Londres sans,, , j'ose le dire, abjurer la conscience du droit qui a été exercé en 1830, et sans désavouer la révolution de juillet. »

Ainsi parlait en 1844, le 15 janvier, M. Saint-Marc Girardin, glorifiant à la fois la Révolution de 1830, qui avait renversé la Royauté de 987, et la Royauté du 9 août, qui avait renversé la Révolution du 29 juillet; ainsi ne parle plus M. Guizot; en 1852 M. Saint-Marc Girardin est resté plus ou moins Triton, mais M. Guizot a renoncé définitivement au rôle de Sirène; il ne croit plus qu'au droit des rois, ce droit leur venant de Dieu. Après une telle conversion, il ne faut désespérer d'aucune. M. Saint-Marc Girardin ne peut tarder à être converti par M. Saint-Albin, et le Journal des Débats ne peut manquer d'être prochainement remorqué par l'Assemblée nationale.

C'est ce que nous souhaitons.

Nous souhaitons qu'il se forme deux camps bien distincts.

D'un côté, ceux qui, d'accord avec l'Assemblée nationale, répondent à cette question: Qu'est-ce que le PEUPLE ?

- Rien.

De l'autre côté, ceux qui, d'accord avec la Presse, répondent à cette question: QU'EST-CE QUE LE PEUPLE?

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Oui, nous le répétons: Tout. Est-ce que l'unité peut exister moins une de ses fractions?

Nous ne savons si M. Chapuys-Montlaville, aujourd'hui préfet, pense encore ce qu'il écrivait en 1839, quand il était député; mais ce qu'il écrivait alors, nous le pensons encore aujourd'hui.

Il écrivait ce qu'on va lire en tête d'une nouvelle édition de Siéyès: QU'Est-ce que le tIERS-ÉTAT?

« Son titre dit beaucoup; il n'est ni insignifiant ni banal, et ne renferme pas une généralité indécise; il relève, agrandit une idée; il est la substance de l'écrit ; c'est le pamphlet concentré; il pose un principe, annonce une ère nouvelle, jette un défi à la monarchie féodale et à l'aristocratie; place les deux camps en face l'un de l'autre, dresse ostensiblement les deux bannières, engage le combat et dit à l'avance quelle en sera l'issue.

» Qu'est-ce que le Tiers-État ? TOUT.

» Jusqu'à ce jour, le Tiers-État n'avait vécu qu'au profit des deux ordres privilégiés, et leur avait été inférieur, soumis, obéissant. Il n'était pas vêtu des mêmes étoffes; il n'avait pas les mêmes siéges; on dénommait ses membres d'une façon cavalière; on ne lui demandait son avis que pour la forme; le clergé et la noblesse le regardaient d'en haut, et se concertaient entre eux pour le contenir dans cette basse région, où il n'osait ni s'agiter ni se plaindre.

» Aujourd hui, tout est changé : le Tiers, dégagé de ses liens, quitte la place qui lui a été assignée pour monter à celle qui lui est due. Qui donc produit cette révolution soudaine? Quelle cause frappe et abat les pieds d'argile du colosse féodal? Est-ce une force nouvelle qui surgit et qu'il a appelée à son aide? Eh non! seulement, sa force propre lui est révélée. La vérité se manifeste, et chacun s'étonne de n'avoir pas jusqu'alors senti sa force et compris son droit.

» Jamais peut-être service plus réel n'avait été rendu à une nation par un homme! »

Nous pensons que, sous le régime de la paix, rien de grand, rien de durable ne peut s'entreprendre ni se fonder si le peuple n'est pas tout, si un autre intérêt que le sien peut prévaloir et prévaut; mais est-ce à dire que le peuple ait le droit de se conduire en tyran et de placer l'erreur au dessus de la science, la violence au dessus de la justice? Non, le seul droit qui appartient au peuple, c'est de choi

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