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erreur, son incurie, son optimisme, comme toute maison qui s'écroule devait tomber.

Tout gouvernement qui a succombé était illégitime.

Un gouvernement est pour nous ce qu'est, pour le passager, le navire qui le conduit d'un port à un autre. Peu nous importe le nom, même le pavillon du navire! Ce qui nous importe, c'est qu'il nous conduise sûrement et rapidement. Un gouvernement rasé n'est à nos yeux qu'un ponton. Nous mettons notre honneur à rester fidèle à la Liberté, et non pas à rester fidèle aux gouvernements qui, l'ayant trahie, ont mérité d'échouer.

En une seule occasion, sous prétexte de quelque péril que ce fût, imaginaire ou réel, nous a-t-on jamais vu placer la Nécessité au-dessus de la Liberté ? Nous a-t-on jamais vu réclamer la Liberté pour les uns et ne pas la réclamer pour les autres ?

Nous a-t-on jamais vu admettre à la Liberté une seule exception, qu'elle s'appelat Jésuites et liberté de l'enseignement, ou Socialistes et liberté de réunion? Le langage que nous tenons aujourd'hui, n'est-ce pas le même langage que nous tenions le 23 et le 25 février 1848, la veille et le lendemain de la révolution? Le langage que nous tenons aujourd'hui, n'est-ce pas le même que nous tenions sous la dictature du général Cavaignac, lorsqu'il supprima, le 20 août, la Gazette de France, et qu'agissant comme l'un des syndics de la presse, nous convoquâmes aussitôt tous les journaux dans la salle Lemardelay? A cette époque, qui était le doyen des syndics de la presse? N'était-ce pas le rédacteur en chef de l'Union? Que fit-il? Vint-il à la réunion convoquée par l'un de ses collègues ?-Non; il prit parti pour l'arbitraire contre la dictature, pour le National contre la Gazette de France. Il déserta son poste et sa cause, son droit et son devoir.

Jamais on ne nous a trouvé, jamais on ne nous trouvera ni derrière une barricade, ni derrière un complot, ni derrière un attentat; mais toujours on nous a trouvé, comme l'artilleur à sa pièce, où l'honneur et le devoir comman

daient que nous fussions, afin de défendre la Liberté et de protéger la faiblesse des vaincus contre l'enivrement des vainqueurs.

Le 24 février, nous avons crié : Confiance! parce que crier : Confiance! c'était crier : Liberté ! Le 5 août 1848, dès que la Presse, suspendue pendant 42 jours par le général Cavaignac, put reparaître, nous avons crié : Amnistie ! parce que crier Amnistie! c'était crier Liberté! Le 29 mars 1852, à peine de refour de l'exil, et reprenant la plume pour la première fois, nous avons répété: Conservons la République! parce que c'était crier encore: Liberté ! Dans le temps où nous vivons, rien, malheureusement rien, n'est absolu, tout est relatif.

Ainsi, l'Empire lui-même, s'il avait été accepté, voté, ratifié par le suffrage universel, serait encore incontestablement la Liberté, relativement à la Monarchie ramenée pour la troisième fois par l'étranger, seule chance que le neveu de Louis XVIII ait de rentrer en France et de coucher aux Tuileries.

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Il est, nous le savons, des républicains de la veille qui disent : · Plutôt le neveu de Louis XVIII ramené dans un fourgon par l'étranger, que le neveu de l'Empereur élevé sur un trône par la France. Nous qui ne comptâmes jamais qu'au nombre des républicains du suriendemain, nous disons : Plutôt le neveu de l'Empereur adopté par la France, que le neveu de Louis XVIII ramené par l'étranger.

1852.

L'ESPRIT DE PARTI ET L'ESPRIT PUBLIC.

La paix est impossible tant que les classes diverses, les grands partis politiques que renferme notre société, nourriront l'espoir de s'annuler mutuellement et de posséder seuls l'empire. C'est là depuis 89 le mal qui nous travaille et nous bouleverse périodiquement. Tantôt les éléments démocratiques ont tenté d'extirper l'élément aristocratique, tantôt l'élément aristocratique a tenté d'étouffer les éléments démocratiques et de ressaisir la domination. Les Constitutions, les lois, la pratique du gouvernement ont été dirigées tour à tour comme des machines de guerre vers l'un ou l'autre dessein Guerre à mort dans laquelle ni l'un ni l'autre des combattants ne croyait pouvoir vivre si son rival restait debout."

GUIZOT.

20 mai 1852.

L'esprit public, en France, est à l'état de chrysalide. Ce qu'il faut souhaiter, c'est que l'esprit de parti cesse enfin de ramper et que l'esprit public déploie bientôt ses ailes.

L'esprit de parti ose tout et ne peut rien.

L'esprit public n'ose rien et peut tout.

L'esprit de parti divise.

L'esprit public unit.

L'esprit de parti fomente l'agitation.

L'esprit public stimule l'activité.

L'esprit de parti perpétue l'arbitraire.

L'esprit public consolide la liberté.

L'esprit de parti a besoin du mensonge.

L'esprit public ne peut se passer de la vérité.

L'esprit public est aussi favorable à l'ordre par la liberté que l'esprit de parti lui est contraire.

L'esprit de parti rend aux gouvernements leur tâche aussi difficile que l'esprit public la leur rend aisée.

L'esprit de parti est aussi ingénieux à multiplier les obstacles et les rivalités que l'esprit public est habile à les détruire.

L'esprit de parti complique tout.

L'esprit public simplifie tout.

L'esprit de parti, c'est l'impuissance descendue à son niveau le plus bas; l'esprit public, c'est la force de propulsion élevée à sa plus haute atmosphère : l'un est le génie de la guerre civile, l'autre le génie de l'activité nationale.

Malheureusement, et depuis trop longtemps en France, l'esprit de parti y comprime l'esprit public; c'est à cette compression qu'il faut attribuer ce désir infini de changement qui use également vite les institutions et les hommes.

Le manque d'esprit public est la plus grande des calamités qu'un pays puisse avoir à combattre en temps de paix aussi bien qu'en temps de guerre.

Le manque d'esprit public entretient l'esprit de parti; il retarde les progrès sociaux; il éternise les dissensions civiles; il aggrave le malaise général: il rend stériles les hommes capables; il affaiblit les nations les plus fortes, et ferait douter, par le présent qui languit, de l'avenir qui doit transformer le vieux monde. Un pays dépourvu d'esprit public n'a pas d'ennemi plus redoutable que lui-même.

L'esprit public d'une nation, c'est là ce qui constitue son type, sa valeur, sa supériorité; dès qu'il s'altère, elle a dégénéré; elle n'engendre plus que la médiocrité et l'égoïsme, le provisoire et la perplexité: dès qu'une nation n'a plus d'esprit public, l'esprit de tous s'abatardit; collectivement et individuellement on vaut moins; une nation qui n'a plus d'esprit public est un faisceau rompu qui n'a plus de lien.

On s'étonne à tort que la France, autrefois si féconde en grands hommes, soit maintenant si stérile. Rien de plus simple à expliquer : l'esprit de parti, quelque couleur qu'il

porte, rejette tous les hommes qui dépassent de la tête, sans vouloir la courber, le niveau auquel il mesure ses milices; l'esprit de parti ne tolère pas que les hommes supérieurs ou consciencieux aient une opinion qui diffère de celle de ses fauteurs, qu'ils s'expriment en d'autres termes que ceux convenus, qu'ils conservent, enfin, le relief de leur caractère.

Si, par occasion, l'esprit de parti embauche ou compte un moment dans ses rangs un homme supérieur, la capacité de cet homme, que ne protége plus l'indépendance, s'efface; si, au contraire, désabusé il se retire, aussitôt il devient suspect à toutes les opinions: on dit de lui qu'il est flottant. Il est déconsidéré.

Voilà le mal que produit dans un pays l'esprit de parti. Il isole, il décourage les hommes indépendants; il crée l'indifférence en matière de gouvernement.

Dans le conflit des ambitions, les intérêts du pays s'oublient, les révolutions se préparent, car les peuples, à leur insu, obéissent à une loi éternelle de progrès, loi invisible, qui renverse les gouvernements qui la méconnaissent.

Le 20 décembre 1851, l'esprit de parti a reçu un violent coup qu l'a terrassé, et sous lequel il n'est pas désirable qu'il se relève, si la place qu'il a laissée libre doit être occupée désormais par l'esprit public.

Ce n'est pas nous qui abattrons jamais l'esprit public pour relever l'esprit de parti.

L'esprit public, c'est tout ce qui est grand et beau, tout ce qui est vrai et juste; c'est l'intérêt de tous, c'est le droit de tous, respecté et reconnu par tous.

L'esprit de parti regarde derrière lui, c'est le passé.
L'esprit public regarde devant lui, c'est l'avenir.

Notre choix ne saurait être douteux.

Nous n'avons pas à venger la défaite de l'esprit de parti. Nous n'avons qu'à préparer la victoire de l'esprit public. Si l'esprit public veut tout ce qu'il peut, la pacification des esprits ne tardera pas à restituer à la France la liberté, que lui a fait perdre la division des partis.

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