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sentatif de nouvelle invention mis à l'essai, puis abandonné. Ils avaient vu une nouvelle chambre des lords créée et dispersée. Ils avaient vu des propriétés en quantité immense transférées violemment des Cavaliers aux Roundheads et des Roundheads aux Cavaliers. Durant le cours de ces événements, l'homme qui n'était point prêt à changer avec la fortune de chaque matin ne pouvait se promettre aucun succès de ses efforts dans l'arène politique. Ce n'était que dans la retraite qu'on pouvait conserver longtemps le caractère de républicain ou de royaliste constant. Quiconque, dans de pareils temps, vent absolument arriver aux hauts emplois de l'Etat, doit renoncer à toute idée de principe. Au lieu de se poser comme invariable au milieu d'interminables changements, il doit toujours être à l'affût des indices précurseurs de la réaction. Il lui faut saisir le moment précis de déserter le parti qui va tomber. Après s'être montré le champion ardent d'une faction au moment de sa toute-puissance, il faut qu'il s'en dégage tout à coup aux premières difficultés naissantes, puis qu'il l'attaque, qu'il la persécute, et qu'il entre dans une nouvelle carrière de pouvoir en compagnie de ses nouveaux associés. Sa position développe naturellement en lui au plus haut degré un genre particulier de talents et de vices. Il devient prompt observateur et fécond en stratagèmes. Il prend sans effort le ton de toute secte ou de tout parti qu'il rencontre sur sa route. Il dis cerne les indices des temps avec une sagacité qui paraît merveilleuse à la multitude, sagacité assez semblable à celle qui met un vieux agent de police sur la piste des plus faibles indications du crime, ou à celle qui guide le guerrier Mohawk à travers les bois sur la trace de son ennemi. Mais nous ne rencontrerons que bien rarement chez un homme d'Etat élevé à une telle école l'intégrité, la constance, ou aucune autre des nobles vertus qui ont la vérité pour mère. Il n'a foi en aucune doctrine; il n'a de zèle pour aucune cause. Il a vu tant d'anciennes institutions emportées par l'orage, qu'il n'a pas de respect pour la prescription. Il a vu tant de nouvelles institutions dont on s'était promis merveille, ne produire que déception et désappointement, qu'il n'a nul espoir d'un avenir meilleur. Il prend également à dédain la résistance des conservateurs et les efforts des réformateurs. Il n'est rien dans l'État qu'il ne soit prêt à défendre ou à attaquer sans scrupule comme sans honte. La fidélité aux principes et aux amitiés n'est, à ses yeux, qu'absurdité, que travers. La politique est pour lui, non une science qui a pour objet le bonheur de l'humanité, mais un jeu fiévreux de chance et d'adresse, où un joueur nerveux peut gagner un domaine, un duché, un royaume même, et où un seul mouvement téméraire peut conduire à la perte de la fortune et de la vie. L'ambition, qui, dans des temps et chez des hommes meilleurs, est presque une vertu, dénuée chez lui de tout sentiment élevé et philanthropique, n'est plus qu'une cupidité égoïste aussi dégradante que l'avarice. Parmi les hommes d'Etat qui, depuis la Restauration jusqu'à l'avénement de la maison de Hanovre, se trouvèrent à la tête des grands partis de l'Etat, on en rencontre bien peu qui ne se soient pas souillés par ce que nous qualifierions aujourd'hui

de perfidie ou de corruption révoltante. On peut dire sans exagérer que, si les diplomates les moins consciencienx qui ont pris part aux affaires de notre temps étaient jugés par le critérium qui était à la mode dans la dernière partie du dix-septième siècle, ils mériteraient d'être regardés comme des hommes scrupuleux et dé-intéressés. »

Après avoir lu cela, continuera-t-on toujours à accuser la France et à prétendre qu'il ne faut pas la comparer à l'Angleterre? Que la liberté qui est possible en Angleterre n'est pas possible en France? Est-ce que la liberté n'est pas un pain dont tous les peuples civilisés ont également besoin? La liberté est l'échelle sur laquelle se mesure le degré de civilisation. C'est à la plénitude de la liberté dont ils jouissent que les États-Unis d'Amérique doivent la rapidité de leur fortune. La liberté est à la richesse ce que le multiplicateur est au multiplicande.

II.

8 juin 1852.

Nouveau discours de M. Guizot; il n'y a de digne de mention dans ce discours qu'une phrase, et dans cette phrase qu'un mot, le mot « HONNEUR, » ainsi placé : « J'ai eu l'HON» NEUR de tomber le premier dans le désastre de mon pays.>> L'HONNEUR d'avoir fait crouler un trône et une dynastie, dynastie qui régnerait encore, trône qui ne se fût pas écroulé si vous vous fussiez retiré quand l'HONNEUR vous le commandait non moins impérieusement que la prévoyance. Quel honneur! Mais la France n'est plus dupe des grands mots; elle ne laissera pas passer celui-là. Ce que lui a coûté 1848, c'est M. Guizot qui en est la cause, comme M. Thiers est la cause de ce que 1840 a coûté au budget et aux contribuables.

L'ÉCOLE DU PASSÉ.

4 mai 1852.

L'un des travers des gens de ce temps, où tout ce qui s'élève est fils de ses œuvres, c'est de vouloir être, non le fils de son père, mais le fils de son trisaïeul. Peut-être estce une manière de se faire accroire à soi-même qu'on a eu des ancêtres? On saute ainsi à pieds joints par-dessus trois générations; on se vieillit d'un siècle; on se transporte en 1744, époque à laquelle Me Poisson, fille d'un boucher des Invalides, devint, par la grâce du roi, marquise de Pompa dour. Tentures, étoffes, meubles, toilette, porcelaines, cadres, tableaux, miroirs, vaisselle, enfin tout ce qu'on a, tout ce dont on se sert, est du plus pur Louis XV. Ces parvenus du passé ne supportent et ne trouvent bien que ce qui date de ce bienheureux règne, où le roi et la cour spéculaient sur la famine et la faim du peuple. Ces marquis de l'anachronisme n'ont pas d'assez gros mots contre la liberté et point d'assez joyeux propos contre le progrès. Qu'est-ce que c'est que cela?... Le Progrès! la Liberté !! Cela n'existe pas, mon cher, ou, si cela existe, cela ne doit plus exister. Le plus spirituel de ces anachronismes vivants est assurément M. Nestor Roqueplan, directeur de l'Académie nationale de Musique et l'un des chefs de l'École du passé.

Mais pourquoi, ici, le nom de M. Nestor Roqueplan? — C'est que ce grand négateur du progrès vient d'écrire et de

signer une lettre où il lui rend, ô force suprême des choses! le plus éclatant hommage. A propos de quoi donc ? — A propos de la représentation du Juif-Errant. Eh! qui le croirait? c'est le Constitutionnel qui a inséré cette lettre piquante où se trouve cet arrêt du passé :

« Il y a environ vingt-cinq ou trente ans, les étalages des marchands de gravures contenaient une lithographie représentant un gros monsieur portant sur le ventre et battant une grosse caisse, agitant avec les mouvements de la tête plusieurs drapeaux chinois, et par le choc de ses genoux un appareil compliqué de cymbales et de timbres. Ce monsieur, c'était Rossini; on disait de Rossini, parce qu'il avait usé plus largement des instruments éclatants, que sa musique faisait trop de bruit, comme on l'avait dit dans le dernier siècle de toutes les musiques qui avaient remplacé les dix-huit violons de la chambre de Louis XIV. Il n'y a pas de règles fixes pour l'intensité des sens. Cela me paraît être une question de goût et de temps: il faut bien remarquer que, dans chaque époque, tous les détails de mœurs arrivent à s'équilibrer, à prendre un niveau commun. Est-ce que l'éclairage de nos maisons et de nos lieux publics n'est pas vingt fois plus brillant qu'il y a soixante ans? On a dû dire de la première lampe Carcel: Cela éclaire trop! On a dû le dire du premier bec de gaz. On a dit certainement en Egypte, en voyant la première pyramide: C'est trop haut!

» L'agrandissement est une des formes du progrès. Nous avons vu s'alonger les journaux, s'élargir nos trottoirs, le gaz égaler le soleil, les chemins de fer centupler la vitesse, les télégraphes lutter avec la parole; nous avons des magasins plus grands que des casernes, nos armées sont nombreuses comme des peuples : c'est un paroxysme général qui aveuglerait, étourdirait, tuerait raide un ancien bourgeois qu'on ressusciterait pour le régaler des bienfaits de la civilisation moderne. Qu'on en revienne au format du Journal des Débats en 1812, aux petites rues de la Cité, à la chandelle, aux pataches et aux coucous, aux boutiques des piliers des halles, que les armées soient réduites à l'effectif de la campagne du maréchal de Saxe, qu'on modère tous les paroxysmes, alors je conviendrai que tous les instruments de Sax font trop de bruit. »

L'éloge du progrès dans la bouche de Nestor Roqueplan! quelle dissonnance! O Romieu! pardonnez-lui! L'éloge du progrès dans le Constitutionnel, quelle autre dissonnance! O Romieu! pardonnez-leur! C'est la faute de M. Sax. Mais que va devenir l'Ecole du passé? Que fera-t-on du sofa des réfractaires de 1848, qui avait remplacé le canapé des doctrinaires de 1828? C'est ce qu'on se demande avec anxiété.

L'AMOUR FRATERNEL.

8 mai 1852.

M. l'archevêque de Paris vient de faire paraître un second mandement. L'objet de ce second mandement est de développer et confirmer le décret du concile de Paris contre les erreurs qui renversent les fondements de la justice et de la charité.

La charité y est rappelée, définie et célébrée en ces

termes :

« Cette unique lci de l'amour, avec son double objet, Dieu et l'homme, est la source de toutes les obligations morales, le fondement de tous les préceptes, dit saint Thomas. Moralia in præceptis Charitatis fundantur (1).

» Qui ne connaît le magnifique traité de Domat, où ce savant jurisconsulte montre d'une manière si éminemment philosophique, par des déductions si simples et si claires, si logiques en même temps, comment de l'amour de Dieu, souverain bien et dernière fin de notre existence, découle l'amour du prochain, c'est-à-dire de toute créature semblable à nous, et destinée à la même béatitude; et comment, ensuite, de l'amour de Dieu et du prochain, cette première et double loi de notre nature, découlent toutes les lois naturelles et civiles sur lesquelles repose toute société humaine, et l'ordre de la religion, et la police des Etats, les devoirs et les droits de chacun, les obligations de l'individu et de la famille, la sainteté des serments, l'inviolabilité des contrats. Tout le monde moral, selon notre grand jurisconsulte, roule donc sur ce pivot unique, la CHARITÉ.

(1) S. THOм. 3 p. q. 47, art. 2 ad primum,

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