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il n'y aurait plus que ces deux tendances, ce flux et ce reflux de l'esprit humain, qui existent en Angleterre, où ils se nomment whigs et tories, et aux Etats-Unis, où ils s'appellent whigs et radicaux.

Toute autre politique, toute autre conduite aura pour effet de prolonger le supplice de la France, et de la conduire soit à la ruine par la guerre, soit à la décadence par la discorde.

Lorsque je parle ainsi, je ne suis pas, ou du moins je ne devrais pas être suspect, car si, logiquement et patriotiquement, je considère comme un devoir de dire, avant que la résurrection de l'empire soit un fait accompli, tout ce qui peut prévenir cette faute et écarter ce péril, rétrospectivement et personnellement, je n'ai aucun motif particulier de vouloir à tout prix le maintien de la République.

On le sait je n'étais pas républicain le 24 février, et les républicains de la veille ne m'ont pas tenu plus de compte de mes efforts pour essayer de les relever, en 1849, que de mes avertissements pour les empêcher de tomber en 1848.

Quand je me suis rallié à la République, je m'y suis rallié sans entraînement, sans illusion, et déterminé par les mêmes motifs que ceux exposés en ces termes par M. de Lamartine dans le préambule de l'Histoire de la Restauration:

« La seconde République est née. C'est pendant une lon» gue période au moins la seule base qui puisse rallier et » porter le peuple. Les monarchies se sont écroulées tour à » tour sur lui, quelles que fussent les modifications qu'elles » eussent essayé de faire à leurs principes pour vivre. Les » dynasties, en guerres civiles pour le trône, ne sont plus » elles-mêmes que des occasions et des causes de guerres » civiles entre leurs partisans dans la nation. Les droits à la >> couronne sont devenus des factions. La nation seule est » unie, ses prétendants sont divisés. Le pays seul peut régner. » Il y a de plus à faire, pour la défense des fondements » de la société, de ces efforts qui veulent la force et l'unani» mité d'un peuple. Enfin, il y a à opérer dans ses lois, dans

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» ses idées, dans ses rapports de classe à classe, dans sa re» ligion légale, dans son enseignement, dans sa philosophie, » dans ses mœurs, des transformations énergiques que la >> main d'aucune monarchie n'est assez forte et assez dé» vouée pour accomplir.

» Les révolutions se font par les républiques. C'est le » gouvernement des peuples debout dans leurs grandes ex>>périences sur eux-mêmes. Ce siècle a de trop grandes » choses à faire et de trop grosses questions de civilisation » et de religion à remuer pour ne pas rester longtemps, ou » pour ne pas revenir souvent en république. Je suis donc >> républicain par intelligence des choses qui doivent naître >> et par dévoûment à l'ordre de mon temps.

>> Sans me dissimuler aucun des inconvénients de la dé»mocratie, je crois qu'il faut les accepter héroïquement pour >> tâche. Elle est l'instrument qui blesse et qui brise la main » de l'homme d'Etat, mais elle est l'instrument des grandes >> choses. Il faut renoncer aux grandes choses, il faut se re>> coucher dans le lit des habitudes et des préjugés, ou il faut >> hasarder la République. »

Je suis donc aussi désintéressé qu'on peut l'être dans la question qui se débat entre la République nominale et l'Empire restauré.

Si j'insiste itérativement, c'est que je ne vois pas d'autre moyen que celui que j'indique pour clore la périodicité des révolutions et dissoudre les partis sans que l'un proscrive les autres, et que tous, moins le dernier, s'exterminent réciproquement et successivement; c'est que le sort des malheureux qui ne peuvent consommer qu'autant qu'ils peuvent travailler a toujours été la première de mes préoccupations.

Une récolte insuffisante, comme en 1847, une complication extérieure, comme en 1840, peuvent survenir; si de telles épreuves, qu'on doit prévoir pour les atténuer, sinon pour les prévenir, si de telles épreuves étaient encore réservées à la France, ces épreuves seraient d'autant plus pénibles et plus périlleuses à traverser qu'elles la trouve

raient plus affaiblie par des divisions intestines, par trois dynasties rivales et par quatre partis exclusifs.

Ce que lisait, le 26 janvier 1844, M. Hébert, à la tribune de la Chambre des députés, ne doit pas être oublié! (1)

Manifeste est l'impossibilité de mettre d'accord les partis dynastiques que trois révolutions ont fait naître. Une révolution de plus n'en supprimerait aucun; une restauration nouvelle les laisserait tous subsister; le suffrage universel offre seul un moyen de les absorber dans sa masse; mais c'est à la condition expresse que l'élection restera l'élection, et n'aspirera pas à se transformer en hérédité qui la dénaturerait. Que l'Élu de sept millions de voix se contente du titre électif dont il est redevable au suffrage universel, qu'il ne subsiste plus de doutes à cet égard, qu'il impose silence à d'imprudents journaux, et l'urne électorale ne tardera pas à devenir l'urne cinéraire des partis.

Leur fin méritée sera l'heureux terme du long supplice de la France!

(1) Le 26 janvier 1844, M. Hébert, soutenant le paragraphe de l'adresse relatif à la flétrissure des visiteurs de Belgrave-Square, et voulant donner une preuve de l'esprit qui anime les légitimistes, lit l'extrait suivant du Journal militaire d'un chef de l'Ouest, contenant la vie de Madame en Vendée, par le baron de Charette, publié en 1842 :

« Un ordre arriva aux provinces de l'Ouest de prendre les armes; le moment était habilement choisi, LE CHOLERA VENAIT D'ÉCLATER ET REPANDAIT PARTOUT LA TERREUR. Le premier ministre, Casimir Périer, était frappé par la maladie; choisir ce MOMENT FAVORABLE pour agir, ce n'était pas spéculer sur la misère publique, mais SUR LES EMBARRAS DU GOUVERNEMENT. »

LA FRANCE ACCUSÉE PAR M. GUIZOT.

1.

2 mai 1852.

L'événement du jour est le discours prononcé par M. Guizot dans la réunion annuelle de la Société pour l'encouragement de l'instruction primaire parmi les protestants de France. On peut dire des discours de M. Guizot que c'est l'impuissance des actes élevée à la plus haute puissance des mots. M. Guizot accusant la France d'avoir abusé de tout, de la civilisation, de la liberté, du bonheur, du progrès, de l'espérance, c'est la fable du mulet accusant la jument d'être infidèle.

Monsieur, vous avez été ministre du 29 octobre 1840 au 24 février 1848. De ces sept années et de ces quatre mois, qu'avez-vous fait? De quoi les avez-vous remplis ? De quels progrès vous sont redevables la civilisation et la liberté? Pendant les sept années de votre ministère, la suppression du certificat d'études a passé pour une question immense, pour une question insoluble. Par cette question que vous avez laissée en suspens, on peut juger de toutes les autres questions et de votre aptitude à les résoudre. Les mauvais tuteurs accusent toujours leurs pupilles.

Ouvrez le tome II des OEUVRES DE M. L.-N. BONAPARTE, Vous

y lirez, page 107, que Jacques II, dans ses mémoires, nommait l'Angleterre : UNE NATION EMPOISONNÉE.

« Supposons, enfin, qu'au lieu d'assurer la cause de la Révolution de 1688, il l'eût trahie; qu'au lieu de relever le nom anglais, il l'eût avili; qu'au lieu de soulager le peuple, il l'eût accablé d'impôts, sans augmenter ni sa gloire, ni son commerce, ni son industrie; qu'il eût restreint la liberté sans même garantir l'ordre public. Certes, une nouvelle révolution serait devenue une impérieuse nécessité. Car les sociétés ne subissent pas ces bouleversements qui compromettent souvent leur existence pour changer de chef seulement; elles s'ébranlent pour changer de système, pour guérir leurs souffrances; elles réclament impérieusement le prix de leurs efforts, et ne se calment que lorsqu'elles l'ont obtenu

>> Guillaume III satisfit aux exigences de son époque et rétablit la tranquillité publique; mais, s'il eût suivi la politique des Stuarts, il eût été renversé, et les ennemis de la nation anglaise, en voyant encore de nouveaux besoins de changement, eussent accusé le peuple d'inconséquence et de légèreté, au lieu d'accuser les gouvernements d'aveuglement et de perfidie; ils eussent dit que l'Angleterre était une nation INGOUVERNABLE; ils l'eussent appelée, comme Jacques II la nomma dans ses Mémoires, une NATION EMPOISONNÉE. »

Si l'Angleterre, sous Jacques II, était une nation empoisonnée, comment, depuis, a-t-elle cessé de l'être?

Lisez l'ouvrage intitulé: LES HOMMES D'ÉTAT SOUS LA RESTAURATION D'ANGLETERRE, ou le MIROIR, par T.-B. Macauley, traduit par M. Maurice Mervoyer, et vous y trouverez, chapitre 11, page 72, ce qui suit :

« Il n'y eut guère de rang ou de profession qui échappât à la conta gion de l'immoralité dominante; mais les hommes qui faisaient leur métier de la politique étaient peut-être la partie la plus corrompue de cette société dégradée; car ils étaient exposés non seulement aux influences délétères qui minaient la société en général, mais encore à une influence particulière de la plus maligne espèce. Leur caractère s'était formé au fréquent spectacle de révolutions et de contre-révolutions violentes. Dans le cours d'un petit nombre d'années, ils avaient vu le régime ecclésiastique de leur pays changer coup sur coup; ils avaient vu une Église épiscopale persécuter les Puritains, une Église puritaine persécuter les Épiscopaux, puis une Eglise épiscopale persécuter de nouveau les Puritains. Ils avaient vu la monarchie héréditaire abolie et restaurée. Ils avaient vu le LongParlement trois fois tout-puissant dans l'État, et trois fois dissous au milieu des imprécations et des huées de la multitude. Ils avaient vu une nouvelle dynastie élevée rapidement au fait de la puissance et de la gloire, puis précipitée du trône sans résistance. Ils avaient vu un système repré

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