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La rédaction de la Presse va être réorganisée.

II.

28 décembre 1851.

M. Perodeaud, l'un des propriétaires de la Presse, a donné aujourd'hui sa démission de rédacteur en chef. Il se retire, ainsi que les collaborateurs qu'il s'était adjoints. Par suite, les anciens rédacteurs de la Presse, qui avaient donné leurs démissions, les ont retirées.

Dès que la nouvelle loi sur les journaux aura remplacé le régime existant, M. Émile de Girardin, les propriétaires de la Presse en ont obtenu de lui la promesse formelle, reprendra la direction qu'il avait cru devoir quitter par un scrupule que les circonstances n'ont pas permis d'expliquer.

Quelle que puisse être la loi prochaine sur les journaux, il restera de nombreuses questions,-questions de finances, d'impôts, de travaux publics, de commerce, d'industrie, de marine, de tarifs, de réciprocité commerciale, de réformes administratives, d'instruction publique et de bien-être populaire, sur lesquelles la discussion demeurera libre; ce seront ces questions que la Presse s'appliquera à présenter sous un nouveau jour. Il ne dépendra pas d'elle qu'il n'en résulte pour la rédaction de la Presse ce qui a lieu pour la navigation des fleuves dont on resserre les rives : ce qu'ils perdent en largeur, ils le gagnent en profondeur.

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III.

9 janvier 1852.

Louis-Napoléon, président de la République,

Décrète :

Art. 1er. Sont momentanément éloignés du territoire français et de celui de l'Algérie, pour cause de sûreté géné–

rale, les anciens représentants à l'Assemblée législative dont les noms suivent :

Duvergier de Hauranne,

Creton,

Général de Lamoricière,

Général Changarnier,

Baze,

Général Leflo,

Général Bedeau,

Thiers,

Chambolle,

De Rémusat,

Jules de Lasteyrie,
Émile de Girardin,

Général Laidet,

Pascal Duprat,

Edgar Quinet,

Antony Thouret,

Victor Chauffour,

Versigny.

Art. 2. Ils ne pourront rentrer en France ou en Algérie qu'en vertu d'une autorisation spéciale du président de la République.

Fait au palais des Tuileries, le conseil des ministres entendu, le 9 janvier 1852.

Le ministre de l'intérieur,

LOUIS-NAPOLÉON.

A. DE MORNY.

IV.

11 janvier 1852.

M. Émile de Girardin a quitté Paris pour se rendre en

Belgique.

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Le discours prononcé, le 29 mars 1852, par le président de la République se termine par cet appel :

« CONSERVONS LA RÉPUBLIQUE; ELLE NE MENACE PERSONNE, » ELLE PEUT RASsurer tout le MONDE. Sous sa bannière, je » veux inaugurer de nouveau une ère d'oubli et de concilia» tion, et j'appelle, sans distinction, tous ceux qui veulent franchement concourir avec moi au bien public. »

Cet appel veut une réponse.

Je l'ai cherchée, sans l'y trouver, dans les journaux qui ont continué de paraître après le 2 décembre 1851.

Ne l'y trouvant pas, je l'ai faite.

Je l'ai faite sans hésitation, comme aussi sans entraînement.

Je connais les deux courants de l'opinion se précipitant en sens contraires : l'opinion des départements et l'opinion de Paris, véritable remous, dont le rapide tournoiement est visible à tous les yeux.

Je sais à quels périls s'expose un journal s'il fait de l'opposition; à quelles indignations il s'expose s'il n'en fait pas. Dans le premier cas, suppression.

Dans le second cas, calomnie.

Le péril et la difficulté de cette situation sont précisément ce qui me stimule et m'excite à reprendre la parole dans ce journal, où je n'ai pas écrit depuis le 29 novembre 1851, et où mes dernières lignes furent celles-ci : «Suffrage universel,

» Impôt unique,

» Liberté absolue;

» Voilà, en trois lignes, tout le programme du monde »> nouveau qui a pour ailes la Science et la Paix. »

Suppression ! C'est là un péril auquel est préparé ce journal, dont on sait que je suis, de beaucoup, le plus fort intéressé. Or, un péril dont on a pris son parti n'a plus rien qui intimide. La Presse, elle le déclare par ma voix, ne se sent donc pas moins libre sous la loi du 17 février 1852 que sous les lois du 16 juillet 1850, du 11 août 1848, du 9 septembre 1835, du 18 juillet 1828 ou du 26 mai 1819.

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Calomnie! C'est là une arme dont la pointe émoussée ne saurait m'empêcher d'avancer, car la calomnie ne me ménage pas plus lorsque je garde le silence que lorsque je le romps. Dès le 2 décembre, une note dans laquelle j'étais dénoncé comme l'instigateur du coup d'État n'était-elle pas expédiée à tous les journaux républicains des départements, par un journal qui a cessé d'exister et que je n'ai pas besoin de nommer pour qu'on le reconnaisse à ce dernier trait empoisonné de sa haine?

J'en suis sûr on n'attend pas de moi des banalités; on n'attend pas de moi que je dise que la dictature a clos son ère, et que la liberté a repris son cours.

Point d'illusions! point de banalités !

La liberté n'existe plus que comme la gloire existe : à la condition d'être vaillamment acquise et chèrement payée. Elle n'existe plus que pour ceux qui oseront et sauront la prendre.

Elle n'est plus de droit commun.

Aussi n'est-ce pas de la liberté que je viens parler, mais de la République et de son avenir, de la République, dont

le discours d'hier, 29 mars 1852, a dit : « Elle ne menace » personne, elle peut rassurer tout le monde. »

La royauté à deux têtes qui guettait sournoisement et souhaitait avidement l'empire ne s'attendait pas au coup qu'elle a reçu et qui l'a atterrée.

Raison de plus pour que je rompe le silence.

A quel titre le garderais-je plus longtemps?
La censure a cessé de s'exercer.

Rédacteur en chef de ce journal, ces fonctions m'obligent; si je m'abstiens d'écrire, pourquoi conserverais-je des fonctions que je ne remplis pas; si je les conserve, quelle occasion plus propice attendrais-je de dire ma pensée?

Accoutumée à entendre débattre librement le pour et le contre de toutes les questions, l'Opinion publique ne s'est pas habituée au régime nouveau d'une presse qui n'a pas encore su trouver la troisième alternative entre se taire ou louer.

Il est manifeste que l'opinion est perplexe et défiante.
Elle se défie même d'elle-même.

Ce qu'elle accepte, elle n'ose pas l'avouer !

Ce qu'elle repousse, elle n'ose pas le déclarer!

Elle a l'irrésolution du voyageur qui, ne sachant pas son chemin, hésite à chaque pas et se demande s'il doit marcher en avant ou revenir en arrière.

Elle guette avidement une voix indépendante, la première venue, qui ne soit ni l'écho de la servilité des antichambres, ni l'écho de l'hostilité des salons.

Elle a hâte de sortir de l'obscurité où elle butte.

Elle a hâte d'y voir clair.

La presse, en effet, ressemble à une lanterne éteinte.
Oui ou non, est-il possible de la rallumer?

C'est ce que nul ne saurait dire si nul ne l'essaie.

Même après les votes du 20 décembre 1851 et du 29 février 1852, la situation des esprits est celle d'héritiers d'une succession obérée, lesquels ne sauraient s'ils doivent l'accepter ou la répudier sans le Code civil qui admet la succession sous bénéfice d'inventaire.

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