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XI.

24 novembre 1851.

Les journaux du grand parti de la Peur persistent à déclarer que, par son vote du 17 novembre 1851, l'Opposition démocratique a contribué à dépouiller l'Assemblée nationale du droit de réquisition directe, que lui confère l'article 32 de la Constitution.

Cette déclaration, tant de fois réitérée, cesse d'être une erreur et devient une imposture.

Non-seulement le droit de réquisition directe n'a pas été enlevé à l'Assemblée nationale par l'Opposition démocratique, mais il ne lui a pas même été contesté par le pouvoir exécutif.

Voici en quels termes précis, formels, s'est exprimé, le 17 novembre 1851, M. le ministre de la guerre :

<< M. LE MINISTRE DE LA GUERRE : L'honorable président de la commission d'initiative vous a dit qu'il ne voulait pas d'équivoque. En cela, je suis complétement de son opinion: il est bon que l'Assemblée, négligeant les ordres du jour motivés, rejette ou accepte la proposition.

» Mais, avant d'entendre sa décision, je tiens à répéter du haut de cette tribune, afin que tout le monde le sache bien, que nous ne contestons pas à l'Assemblée le droit de fixer les forces qu'elle juge nécessaires à sa sûreté; mais cette réquisition doit se renfermer dans les termes de la Constitution, et, pour ne pas détruire la discipline de l'armée, cette réquisition, qui ne doit être, qui ne sera jamais refusée, doit passer par la voie hiérarchique, et, par cette voie, jamais aucun conflit ne s'élèvera entre le pouvoir exécutif et l'Assemblée nationale. »

Quoi de plus formel et de plus précis que les termes de cette déclaration du pouvoir exécutif!

Est-ce que le droit de l'Assemblée est contesté? Est-ce qu'il n'est pas hautement reconnu ?

Sur ces mots par « la voie hiérarchique, » peut-il y avoir le plus léger doute?

Quelle est la voie hiérarchique ?

C'est l'ordre assigné par la Constitution à chacun des pouvoirs.

Quel est cet ordre?

I. L'Assemblée nationale,

II. Le président de la République,

III. Les ministres.

Que doit donc faire l'Assemblée nationale lorsqu'elle exerce son droit de réquisition?

Le président de l'Assemblée, en vertu du droit que lui confère l'article 112 du réglement, s'adresse au président de la République, et le requiert de mettre à sa disposition les forces militaires qu'il a jugées nécessaires à la sûreté de l'Assemblée.

Ou le président de la République les met à la disposition du président de l'Assemblée, ou il ne les y met pas.

S'il les y met, point de question.

S'il ne les y met pas, il est immédiatement déclaré déchu de ses fonctions, et, dans ce cas, l'unité de pouvoir étant établie ou rétablie, le président de l'Assemblée fait appeler le ministre de la guerre pour lui donner ses ordres; si le ministre de la guerre n'a pas la confiance de l'Assemblée, il est révoqué et remplacé.

Mais, dans tous les cas, l'armée, on le voit, ne reçoit d'ordre que par la voie hiérarchique, c'est-à-dire par le ministre de la guerre.

N'est-ce pas ce qu'il y a à la fois de plus simple et de plus sûr ?

Aussi ne fait-on à cette manière d'entendre l'exercice du droit de réquisition directe qu'une seule objection.

On dit :

Oui, le président de la République, requis par le président de l'Assemblée nationale de mettre à sa disposition cinq, dix, quinze, vingt, cent mille hommes, s'empressera de les lui envoyer; mais il aura soin de ne lui envoyer que des chefs de corps dont le dévoûment personnel lui sera acquis, ce qui sera une manière d'éluder la réquisition en paraissant y faire droit.

A cette objection, je réponds:

Lisez l'article 105 de la Constitution, ainsi conçu :

« Art. 105. La force publique employée pour maintenir l'ordre à l'intérieur n'agit que sur la réquisition des autorités constituées, suivant les règles déterminées par le pouvoir législatif. »

En conséquence de cet article 105, qui empêche l'Assemblée nationale de voter un décret par lequel il sera dit que le pouvoir exécutif, dans le cas de réquisition, sera tenu de mettre à la disposition du président de l'Assemblée les régiments que celui-ci aura spécialement désignés ?

Que devient alors l'objection faite contre l'exercice du droit de réquisition directe par la voie hiérarchique?

1851.

LE JUGEMENT DU 11 DÉCEMBRE 1851.

I.

12 décembre 1851.

Le jugement suivant, prononcé par M. Casenave, présidant la 1re chambre, vient de donner acte à M. Émile de Girardin de sa déclaration portant qu'à l'avenir, il entend rester complétement étranger à la direction et à la rédaction du journal la Presse :

TRIBUNAL CIVIL DE LA SEINE.

PREMIÈRE CHAMBRE. PRÉSIDENCE DE M. CASENAVE.

Audience du 11 décembre 1851.

M. BOURDIN ET AUTRES ACTIONNAIRES DE la Presse CONTRE
M. ÉMILE DE GIRARDIN ET M. ROUY.

Me BONCOMPAGNE: A la suite, ou plutôt au début des derniers événements, MM. de Girardin et Rouy ont cru devoir suspendre la publication du journal la Presse, et cependant aucun fait n'autorisait, ne motivait une semblable mesure. Le décret du 2 décembre 1851 ne s'appliquait pas à la Presse, ou du moins, s'il mentionnait ce journal, il ne lui avait pas été notifié.

Or, le 3 décembre, M. de Girardin avait fait afficher dans les bureaux du journal l'avis suivant :

« LES ATELIERS ET LES BUREAUX DE LA PRESSE SONT FERMÉS, LE

JOURNAL NE REPARAITRA QUE LORSQUE LA LIBERTÉ DE DISCUSSION SERA RÉTABlie. »

Cette interruption a causé aux actionnaires un préjudice énorme. La vente des journaux a eu lieu pendant quelques jours dans des proportions fabuleuses, et nous n'en avons pas profité. Bien plus, nous avons manqué des abonnements nouveaux qui seraient venus, et nous sommes menacés de perdre beaucoup de nos anciens abonnés. Il importe que la publication soit continuée; c'est là le but de notre demande.

Je sais bien qu'au nom de M. de Girardin on va me dire qu'il veut rester dorénavant étranger à la rédaction du journal. Les actionnaires se passeront de sa rédaction, ils le remplaceront, mais il faut que le journal paraisse.

Quant à M. Rouy, il dit être prêt à publier le journal; mais nous ne pouvons pas nous contenter de cette simple déclaration. Nous lui avons souvent demandé ce qu'il promet aujourd'hni; il a toujours refusé, et ce n'est que parce qu'il se voit sous la contrainte des moyens judiciaires qu'il s'exécute, ou qu'il promet de s'exécuter. Mais ce qu'il promet aujourd'hui, il peut le refuser demain, et voilà pourquoi nous demandons, par nos conclusions subsidiaires, que l'un des demandeurs soit adjoint à M. Rouy, avec pouvoir de le remplacer comme gérant, s'il manquait un seul jour à faire paraître le journal.

Ma BOUISSIN : Je me présente pour M. de Girardin et M. Rouy. Je demande acte, au nom de M. de Girardin, de ce qu'il entend rester étranger à la rédaction du journal la Presse tant que la liberté de discussion ne sera pas complétement rétablie, et, au nom de M. Rouy, de ce qu'il est prêt à reprendre demain la publication du journal la Presse.

M. de Girardin demande sa mise hors de cause. S'il y a lieu à réclamer contre lui des dommages-intérêts, ce sera évidemment devant une autre Juridiction, et là il se défendra comme il l'entendra.

M. Yvert, substitut, conclut au rejet de la demande.

Le tribunal a rendu le jugement suivant :

Le tribunal,

» Attendu que la publication du journal la Presse a été suspendue par un fait de force majeure; que la suspension ayant été levée à la date du 10 décembre courant, Rouy offre de reprendre la publication;

"Attendu que Girardin déclare vouloir, quant à présent, demeurer étranger à la rédaction et à la réapparition de la Presse;

"Donne acte aux parties des offres et déclarations de Rouy et Girardin;

" Déclare Bourdin et consorts non recevables en leur demande, et les condamne aux dépens. "

(Gazette des Tribunaux.)

Aujourd'hui même, les propriétaires du journal, réunis en assemblée générale, ont nommé M. J. Perodeaud rédacteur en chef, en remplacement de M. Émile de Girardin.

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