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Je ne comprends pas l'état de siège en 1851, mais je ne le comprenais pas mieux en 1848, lorsque, le 2 septembre, M. le général Cavaignac montait à la tribune pour en prendre la défense contre M. Ledru-Rollin; lorsque, le 11 octobre, il en réclamait le maintien en ces termes : « Oui, je le déclare, il y aurait danger pour le pays, danger pour la République, danger pour la Constitution elle-même à faire cesser l'état de siége... Nous avons émis notre opinion d'une manière bien claire et bien précise. Si l'Assemblée levait l'é– tat de siége, elle créerait un véritable danger.» Déclaration qui était si peu fondée, que huit jours après, le 19 octobre, M. le général Cavaignac, changeant subitement de langage, appuyait à la même tribune la levée de l'état de siége en ces termes : « En tenant compte de toutes les éventualités. je déclare que les moyens d'action et de répression dont je puis disposer me permettent de faire face à toutes les conjonctures... C'est ma conviction énergique et profonde. »

Si je mets encore une fois sous les yeux des lecteurs cette mémorable et flagrante contradiction à huit jours de distance, ce n'est pas pour récriminer; c'est afin de montrer ce qu'il faut penser et croire de la sincérité et de la justesse des affirmations de ceux qui ont la prétention de nous gouverner, affirmations qui varient au gré de leurs mobiles intérêts.

Le 11 octobre 1848, lorsque le général Cavaignac réclamait le maintien de l'état de siége, M. Senard était ministre de l'intérieur. Le 19 octobre, lorsque M. Cavaignac admettait la levée de l'état de siége, M. Senard avait été remplacé par M. Dufaure.

Que le nouveau ministère, quel qu'il soit, qui remplacera M. Léon Faucher, propose en même temps que la suppression du suffrage restreint la levée de l'état de siége restreint, et les choses se passeront en octobre 1851 comme elles se sont passées en octobre 1848. Est-ce qu'après la levée de l'état de siége, en octobre 1848, l'ordre moral et matériel a été troublé un seul instant et sur un seul point? Est-ce que l'élection du 10 décembre 1848, qui mettait en

présence tous les partis, un bulletin à la main, a donné lieu ou servi de prétexte à la plus légère violence? Est-ce que cette grande et décisive épreuve n'est pas l'un des plus glorieux faits dont l'histoire de la démocratie a dû recueillir et devra transmettre le souvenir et l'exemple?

Le maintien du suffrage restreint mène logiquement à l'état de siége universel; le rétablissement du suffrage universel mène logiquement à la levée de l'état de siége restreint.

4854.

CE QUI MET FIN AUX GUERRES CIVILES.

22 octobre 1851.

La proclamation suivante porte la date de Nevers, 26 octobre 1851 :

a Habitants de Nevers,

Je viens d'être investi du commandement de l'état de siége de votre département.

Ce régime exceptionnel, imposé par la nécessité de préserver votre pays des excès de la démagogie et de la guerre civile, sera protecteur pour les honnêtes gens, répressif avec la dernière rigueur pour tous les fauteurs d'anarchie. Que la population tranquille se rassure, qu'elle se livre avec sécurité à tous ses travaux : jamais les personnes et les propriétés n'auront été mieux sauvegardées ; la répression la plus prompte, la plus énergique, écraserait sur-le-champ toute tentative de désordre.

» Le jour est venu où la TERREUR doit changer de côté. C'est maintenant à ces gens qui n'ont rien de Français, qui osent invoquer le nom et l'intérêt du peuple pour préconiser tous les crimes, à trembler ! Le vrai peuple les renie; le vrai peuple, celui qui a porté aux extrémités du monde la gloire de nos armes et le renom de loyauté de notre nation, vent vivre de son travail, élever honnêtement sa famille, et léguer à ses enfants la tradition de l'honneur avec le fruit de ses économies; le vrai peuple renie avec indignation ce ramassis de vagabonds, de pillards et d'incendiaires qui croient pouvoir vivre dans un désordre perpétuel, abrités derrière la terreur qu'ils ont su pour un moment inspirer aux gens honnêtes, mais timorés.

D'un bout à l'autre de la France, un cri unanime d'indignation, poussé par tous les gens de bien, s'est fait entendre à la nouvelle des attentats du Cher. Quelle excuse peut faire valoir l'insurrection, sous le

gouvernement le plus libéral du monde ?... Si les hautes régions de la société ont été dépouillées de leurs priviléges, ce n'est pas pour voir aujourd'hui s'élever dans ses bas-fonds le privilége du pillage!

» Ouvriers des villes et des campagnes, ne vous laissez pas intimider par les perfides conseils de ces gens qui ne se disent vos amis que pour vous pousser au désordre. Regardez dans le passé, et vous verrez toujours ces excitateurs, ces péroreurs de la piace publique, absents au moment du danger. Si le triomphe de la mauvaise cause était possible, ils reparaîtraient alors pour partager entre enx seuls les bénéfices d'un succès sans durée. Dans la défaite, leur habileté sait toujours les distraire à la rigueur de la loi, à laquelle ils vous abandonnent sans remords. A eux les places, les avantages; à vous les périls, et, en fin de compte, la prison et la ruine de vos familles. Comprencz-le done aujourd'hui; vous êtes pour eux le marchepied, les instruments qui, dans leurs foiles espérances, doivent les élever au pouvoir.

>> Croyez-en mes conseils, chassez ces faux amis, rentrez dans la pratique des devoirs imposés aux honnêtes gens, et notre pays reprendra cette sécurité sans laquelle il n'y a ni travail ni prospérité possibles. » Je compte sur les gens de bien; qu'ils comptent sur moi.

» Le général de brigade commandant l'état de siége,

» PELLION. D

Changez le millésime et la date de cette proclamation; au lieu d'octobre 1851, mettez octobre 1848; au lieu de fauteurs d'anarchie, mettez fauteurs de monarchies; au lieu de privilege du pillage, mettez privilège de la fortune, et demandez-vous ce qu'auraient dit, en 1848, d'une pareille proclamation, les monarchistes qui trouvent aujourd'hui parfaitement juste et légitime celle du général Pellion.

Si des excès coupables ont été commis dans le Cher, estce donc qu'il n'y a pas, pour les condamner, un jury et une cour d'assises?

Ce qui met fin aux guerres civiles, c'est la justice absolue; ce qui les perpétue, c'est la justice exceptionnelle.

4851.

LA CENSURE.

"Les citoyens ont le droit de s'associer, de s'assembler paisiblement...

"L'exercice de ces droits n'a pour limites que les droits ou la liberté d'autrui et la sécurité publique.

"La presse ne peut, en aucun cas, être soumise à la

censure. »

CONSTITUTION, article 8.

10 novembre 1851.

En conséquence de l'article 8 qui précède, la censure a défendu qu'on lise les vers suivants :

I.

L'art, c'est la gloire et la joie,
Dans la tempête il flamboie,
Il éclaire le ciel bleu.
L'art, splendeur universelle,
Au front du peuple étincelle
Comme l'astre au front de Dieu.

L'art est un chant magnifique

Qui plaît au cœur pacifique,

Que la cité dit aux bois,
Que l'homme dit à la femme,
Que toutes les voix de l'âme

Chantent en choeur à la fois!

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