Page images
PDF
EPUB

1851.

L'ORDRE ET LA LIBERTÉ CONCILIÉS.

28 septembre 1851.

Quel fécond sujet de réflexions que les paroles si vraies de lord Palmerston, au banquet de Tiverton! Ces paroles méritent d'être citées. Nous les reproduisons donc :

« Il n'est pas un étranger qui n'ait été frappé de l'ordre qui règne partout en Angleterre. Ce que nous admirons le plus en Angleterre, ont-ils dit, c'est l'ordre. On n'y voit pas de soldats, pas de gendarmes, l'arme au bras, avec des baionnettes et des sabres pour faire respecter l'ordre, mais seulement quelques policemen civils avec de petits bâtons entre les mains et empressés de nous indiquer ce que nous cherchons. Voici ce que j'ai répondu à mes amis étrangers qui m'exprimaient leur admiration. Ce

résultat

que vous admirez, nous le devons d'abord au grand bon sens, à la

bonté de cœur et aux admirables qualités qui appartiennent au peuple anglais. Mais ensuite et plus encore nous le devons à ceci : c'est que la justice est bien administrée en Angleterre. Tout homme ici sait parfaitement que d'homme à homme la justice est bien impartialement rendue, sans faveur ni sans influence de quelque côté que ce soit. Voilà pourquoi l'Anglais a foi dans la loi et ne s'empare pas de la loi pour se faire justice. Il sait que les dépositaires de l'administration de la justice la rendent avec équité. De plus, ici, tout homme est libre d'exprimer ses opinions, quelles qu'elles puissent être. S'il a tort, il est combattu par ceux qui peuvent le ramener à la raison; s'il a raison, il persuade ceux qui ont tort. La lutte des opinions est une guerre pacifique qui produit toujours les plus heureux résultats. Enfin le gouvernement et le parlement, depuis nombre d'années, ne cessent pas de travailler avec zèle à chercher et à exécuter les grands perfectionnements politiques et sociaux. (Applaudissements.) Ecarter les abus et faire des améliorations, tel a toujours été le but des gouvernements qui se sont succédé en Angleterre. Aussi le peuple

a-t-il toujours été content de ce qui a été fait, et s'il y a quelque chose à faire encore, il attend patieminent, sûr que l'on s'en occupera. »

C'est un ministre, c'est le ministre d'une monarchie, c'est le ministre d'un gouvernement aristocratique qui parle ainsi, avec cette simplicité que donne la conscience de la vérité. Aussi le journal de M. Guizot, le tombeau de la Fusion, l'Assemblée nationale, n'a-t-il pas de paroles assez acres pour attaquer lord Palmerston. Cela n'a rien qui doive étonner, lorsqu'on se souvient de la violence avec laquelle le Journal des Débats attaqua, en 1846, Robert Peel, le plus grand ministre de cette période qu'on pourrait appeler : la paix de trente ans.

M. Guizot raille lord Palmeston et le traite de révolutionnaire. Est-ce que je me tromperais? Est-ce que, en effet, j'aurais perdu, comme l'affirme M. Veuillot, la raison et la mémoire? Est-ce que ce serait à Londres qu'une révolution aurait éclaté le 24 février 1848, à la suite de laquelle la République démocratique aurait remplacé la royauté constitutionnelle?

1851.

UNE DIFFÉRENCE ESSENTIELLE.

29 septembre 1851.

Une différence essentielle existe entre les hommes d'État d'Angleterre et les hommes d'État de France : les hommes d'État d'Angleterre lorsqu'ils arrivent au ministère ne renient pas les principes auxquels leur opposition a dù son triomphe. Nous avons cité les paroles si justes et si vraies de lord Palmerston au banquet de Tiverton; rappelons celles que prononcait, en 1817, à la tribune de la Chambre des pairs, M. le duc de Broglie.

Il disait :

M. DE BROGLIE: « Le salut public, la raison d'Etat, la force à donner au gouvernement, je n'en fais pas de différence. On me l'a dit, j'en ai reçu comme un autre la confidence: le gouvernement est menacé, il faut le soutenir. C'est donc là tout l'argument; car je ne veux pas croire qu'il puisse exister d'autre part d'autres pensées tout à fait indignes de gens de bien, de lâches pensées de vengeance et de revanche contre un parti qui, précédemment, n'aurait pas bien usé de la victoire! Malheur à ces APOSTATS DE LA LIBERTÉ qui reprocheraient au plus faible, quel qu'il soit, d'en invoquer le nom. Je ne consentirai jamais, pour ma part, à livrer à la discrétion de l'autorité que je saurais la plus juste, ceux que je plus mortels ennemis. Et qui sait si je n'assure pas par là notre sûreté commune contre ces mêmes ennemis, s'il est vrai qu'il en existe? Qui sait si ce ne sont pas des armes que je leur enlève par avance, en écartant les lois d'exception ? Qu'on me dise quel est le gouvernement auquel la législature a refusé quelque chose! Qu'on me dise quel est celui qui n'est pas tombé de faiblesse, tous les pouvoirs à la main! Je crois que c'est un devoir religieux de mettre une digue à ces entreprises impruden

croirais mes

tes. Les corps politiques sont responsables des révolutions. S'ils défendaient avec vigueur les droits qui leur sont confiés, l'équilibre se maintiendrait et la nation ne s'éloignerait pas du gouvernement.

>> Si jamais les hommes d'Etat s'étaient embarqués une seule fois sur cette voie nouvelle, s'ils avaient abjuré leurs pratiques pernicieuses, en un mot s'ils avaient servi la liberté, la carrière des révolutions se serait refermée derrière nous. Aucun ne l'a voulu jusqu'aujourd'hui.

» Je n'ai plus qu'un mot à dire. La suspension de la liberté individuelle n'a été mise en question qu'une fois aux Etats-Unis. Ce fut sous la présidence de Jefferson, en 1800, ce fut dans un temps de désordres civils et lors de la conspiration du colonel Burr. Le Sénat eut la faiblesse de la proposer. Mais quand on porta le bill à la Chambre des représentants, elle fut saisie d'un tel sentiment d'aversion, qu'elle ne voulut pas même en souffrir une seconde lecture. Les deux partis de la Chambre, qui représentaient les deux partis de la nation, avec tout l'emportement des passions du moment, se réunirent tout d'une voix, et au dehors les hommes des opinions les plus opposées s'apais èrent, la réconciliation fut en un moment générale, et le danger s'éloigna pour toujours.

» J'oserais presque croire que le même bonheur nous arriverait si le gouvernement nous proposait des lois de liberté pour tous les partis, au lieu de nous proposer des lois d'exception contre les partis. C'est assez, depuis vingt ans, de nous être réciproquement emprisonnés, déchirés, haïs, calomniés. Parlons à tous désormais un même langage, et que ce soit un langage de paix. Faisons de tous les Français des frères, en les unissant dans des jouissances communes. S'ils goûtent les mêmes bienfaits, s'ils usent des mêmes droits, leurs sentiments se rapprocheront. Soyons sincères surtout. Cessons de traiter les livres comme des suspects en proclamant la liberté de la presse'; ne regardons plus les garanties de la liberté comme un tarif de douanes qu'on peut, à volonté, élever ou abaisser.»

Treize ans plus tard, le 29 décembre 1830, M. Guizot proclamait, à la tribune de la Chambre des députés, les principes suivants :

M. GUIZOT : « Nous ne devons jamais oublier que nous vivons et que nous devons vivre sous un régime de liberté, c'est-à-dire de liberté pour le faux comme pour le vrai, pour le mal comme pour le bien, pour un langage inconvenant, violent, grossier, comme pour un langage vrai et mesuré. Il serait vain de prétendre étouffer toutes les erreurs, de relever tous les mensonges, toutes les inconvenances, toutes les mauvaises paroles. Dans le régime où nous vivons, je le répète, les corps politiques, comme les individus, ont besoin de se munir d'une large provision de facilité et quelquefois même de dédain. »

En 1835, M. de Broglie était président du conseil des mi

nistres, et M. Guizot était son collègue. Qu'ont-ils fait? Se sont-ils souvenus des principes qu'ils avaient proclamés, et dont l'application eût été l'affermissement de la dynastie de 1830? Les ont-ils maintenus? Non, ils les ont reniés, et ils ont présenté les lois de septembre, qui, en interdisant, sous les peines les plus sévères, de prononcer le nom de la République, ont contribué plus que toute autre cause à son subit avénement, le 24 février 1848.

Il faut opter.

Ou MM. de Broglie et Guizot avaient tort en 1835, ou ils avaient raison en 1817 et en 1830.

Nous croyons que c'était en 1817 et en 1830 qu'ils avaient raison, et que ce qu'ils disaient à cette époque est resté en 1851 non moins absolument vrai.

« PreviousContinue »