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SOYEZ LOGIQUE !

Le journal le plus en crédit (le Journal des Débats), et qui passait pour recevoir les inspirations de Napoléon, prêchait le retour aux principes monarchiques. Il déchirait chaque jour les écrivains de l'école philosophique, dont les écrits avaient le plus contribué à la révolution, et allait jusqu'à proposer d'expulser les cendres de Voltaire et de Rousseau du Panthéon. » BARON PELET (de la Lozère). Opinions de Napoléon.

26 septembre 1851

Si je n'étais pas le partisan absolu de la liberté absolue, pour réglementer toute la presse je ne voudrais qu'une seule loi ce serait une loi qui condamnerait tout écrivain à être logique, à avancer toujours et à ne reculer jamais.

Ce qui fait la confusion des idées, le babélisme des opinions, c'est que personne ne conclut et que tout le monde s'arrête à mi-chemin. On hasarde une proposition, et l'on n'ose pas en déduire les conséquences.

Si vous êtes républicain, soyez républicain.

Si vous êtes légitimiste, soyez légitimiste.

Soyez enfin ce que vous êtes!

Qui pourrait me dire ce qu'est et ce que veut le Journal des Débats?

Je lis dans ce journal l'article suivant :

«La France ne peut vivre avec le principe de désordre et de ruine que le 24 février a déchaîné dans le monde. La révolution de février, même

amortie, même amendée, corrigée, améliorée, c'est toujours la révolution de février, c'est-à-dire le règne d'une idée fausse, anarchique, incompa tible avec l'honneur et la dignité du pays, avec le bon ordre, le repos et la paix de la société, de toute société. Oui, l'épreuve est faite et complète. Le pays s'est cru sauvé le 4 mai 1848, avec l'Assemblée constituante; il s'est cru sauvé le 25 juin, avec la dictature du général Cavaignac; il s'est cru sauvé le 10 décembre, avec M. Louis Bonaparte; il s'est cru sauvé le 13 mai 1849, avec l'Assemblée actuelle. Après avoir été sauvé si souvent, tout ce qu'il a gagné, c'est d'avoir plus que jamais besoin de l'être. Toutes ces prétendues victoires, tous ces progrès menteurs nous ont conduits où nous sommes, au défilé de 1852, à ce labyrinthe où nous sommes renfermés sans pouvoir y rester, sans pouvoir en sortir, à une situation non moins grave et plus compliquée, plus obscure et plus inextricable que celle où nous étions le 23 février. Depuis quatre ans, nous avons remonté laborieusement la pente révolutionnaire; mais qui nous garantit que dans huit mois nous ne serons pas redescendus jusqu'au fond de l'abiine? Nous sommes condamnés au supplice de Sisyphe : incessamment rejeté, le rocher fatal retombe incessamment sur nos têtes. A ce long supplice de la France, il n'y a pas deux remèdes, il n'y en a qu'un, la révision totale. Ce n'est pas tel ou tel article de la Constitution qu'il faut retrancher ou modifier; c'est le principe qu'il faut effacer et remplacer par un autre. C'est le grand ressort de la machine qu'il faut changer; c'est ⚫le pouvoir exécutif qu'il faut reconstituer et asseoir sur sa véritable base. Le mot que tous les conseils généraux ont répété comme un mot d'ordre, comme le mot qui résume le mieux leurs griefs et leurs vœux, c'est le mot de stabilité. Ils se montrent tous impatients de substituer au principe d'instabilité, qui est la base de la Constitution actuelle, un principe de stabilité, qui est la condition indispensable de l'ordre, de la paix et de la prospérité publique. Stubilité, le mot est plein de sens, et il vaut tout un programme. Pour les auteurs et pour les partisans de la Constitution qui nous régit, le pouvoir modèle est le pouvoir à courte échéance, à échéance fixe; pour les conseils généraux et pour le pays, c'est le pouvoir à longue échéance, à échéance illimitée, autant que possible; nous ne croyons pas forcer le sens du mot en l'interprétant ainsi. »

Je dis au Journal des Débats: soyez logique!

Dès que vous faites résider la stabilité dans l'échéance illimitée du pouvoir, partout où vous avez écrit le mot stabilité, remplacez-le par le mot légitimité, car le président de la République, eût-il été élu à vie, pourrait mourir demain, soit de mort naturelle, soit de mort violente.

Est-ce qu'avant de se faire offrir l'empire héréditaire, Napoléon n'avait pas été nommé et n'était pas consul à vie?

Sur quoi se fonda-t-on, en 1804, pour changer le consulat à vie en empire héréditaire? On se fonda sur ce motif que le premier consul pouvait être enlevé à la France par la mort.

On n'a qu'à se reporter aux discussions préliminaires à l'établissement du trône impérial, qui eurent lieu au conseil d'Etat, et l'on y lira ce qui suit :

« Fouché se leva et dit que cela n'était point suffisant; qu'il fallait réclamer des institutions qui détruisissent l'espérance des conspirateurs, en assurant l'existence du gouvernement AU-DELA de la vie de son chef (1). »

L'opinion de Fouché ayant prévalu, le projet suivant fut rédigé :

Projet de déclaration pour l'établissement de l'empire, proposé au conseil d'Etat par les présidents des sections, en 1804.

Les conseillers d'État, délibérant, d'après l'autorisation du premier consul, sur le vou exprimé dans l'adresse du Sénat,

>> Considérant que l'intérêt de la nation est d'avoir un gouvernement dont les principes soient fixes, les vues permanentes, les projets suivis, la politique invariable, les alliances solides;

Que la révolution n'a pas été commencée par la nation, en 1789, contre l'hérédité de la suprême magistrature, et que si elle a été dirigée depuis contre la famille en faveur de laquelle les représentants du peuple avaient confirmé cette hérédité, c'est parce que cette famille s'est armée contre la révolution et ses principes;

» Que la nation confirmera sa volonté d'éloigner cette famille en appelant une famille nouvelle et la plaçant à sa tête;

» Que l'hérédité de la suprême magistrature dans une famille n'est pas une concession dans l'intérêt de cette famille, mais une institution dans l'intérêt du peuple ;

>> Que le moment qui appelle une pareille institution est celui où de grands dangers ont menacé la patrie en la personne du premier consul, quand l'Angleterre a armé contre lui des assassins, et où d'autres dangers, nés des hasards de la guerre, peuvent menacer le chef suprême de l'Etat ;

Que, puisque l'hérédité peut écarter les dangers qui menacent, prévenir les malheurs qu'on redoute, assurer les avantages qu'on désire, la nation a un intérêt pressant de voir adopter cette institution;

» Que, s'il existait des motifs d'en retarder l'établissement, ils ne pourraient résulter que de considérations prises des relations extérieures de la République, que le chef du gouvernement peut seul apprécier dans

(1) OPINIONS DE NAPOLÉON, recueillies par un membre de son conseil d'Etat, par le baron PÜLET (de la Lozère). 1833. Page 52.

toute leur étendue, mais qui semblent conseiller plutôt l'accélération que les délais;

» Que l'hérédité de la suprême magistrature est analogue aux mœurs de la nation, convenable à la population, adaptée à l'étendue de son territoire; » Que la nation votera, sans hésiter, en faveur du système héréditaire, au même instant où elle sera appelée à la garantie solennelle de toutes les institutions, de tous les droits pour lesquels ses armées ont combattu, et que le même acte assurera irrévocablement et sans retour, avec l'hérédité de la magistrature suprême dans une famille, la liberté individuelle, celle des cultes, la sûreté des propriétés, l'irrévocabilité des aliénations des domaines nationaux, l'égalité politique et civile, le système représentatif pour le vote des impôts et des lois, et enfin l'abolition des priviléges détruits et de tout autre droit héréditaire que celui qu'elle proclamera pour la magistrature suprême;

» Sont d'avis :

» 1° Qu'il est de l'intérêt de la nation française de déclarer les fonctions du premier consul héréditaires dans sa famille;

» 2° Que si des considérations de politique extérieure n'y mettent obstacle, le moment est non seulement favorable, mais pressant, pour proclamer l'hérédité de la magistrature suprême ;

» 3° Que l'hérédité doit être établie sur les principes posés au commencement de la révolution, en écartant toutefois ce qui fut fait par un sentiment de défiance envers la dynastie que la révolution a renversée, et en y substituant ce qui sera nécessaire à la conservation de la dynastie nouvelle que la révolution aura élevée ;

» 4• Que la stabilité et la force de la puissance héréditaire et les droits de la nation qui l'aura votée doivent être inséparablement garantis dans le même acte, par des institutions fondées sur la liberté individuelle, sur la liberté des cultes, sur l'inviolabilité des propriétés, sur l'irrévocabilité des ventes des domaines nationaux, sur l'égalité politique, qui permet à tous les citoyens de parvenir à tous les emplois; sur l'égalité civile, qui assure que tous les citoyens seront jugés suivant les m`mes lois; sur le vote de ces lois par une représentation nationale, et sur l'octroi annuel des impôts, après le compte des fonds accordés l'année précédente ;

» 5° Que l'acte constitutif de l'hérédité, et contenant les garanties de la nation, ne pourra recevoir de changement ou de modification que par le vœu du peuple français. »

:

Je termine en disant au Journal des Débats par stabilité, par pouvoir à échéance illimitée, qu'entendez-vous? Entendez-vous Henri V, roi de France?

Entendez-vous Louis-Philippe II, roi des Français ?
Entendez-vous Louis-Napoléon, empereur?
Expliquez-vous.

Vous voulez l'hérédité mais laquelle, et comment?

GUERRE AUX PHRASES.

28 septembre 1851.

Dans une réunion qui a eu lieu à Nouvion (Aisne), M. Odilon Barrot a fait un discours, et dans ce discours il a dit :

Plus l'édifice politique sera bien assis, plus il pourra supporter les agitations de la liberté. Nos publicistes modernes, qui se disent républicains et ne sont pas même libéraux, ignorent trop cette liberté; il faudra bien que l'opinion publique, forte de l'expérience du passé, la leur impose. Depuis le premier jour où je suis entré dans une assemblée politique jusqu'à celui où je vous parle, je n'ai jamais laissé échapper une occasion de rappeler aux gouvernements qui se sont succédé ce besoin de s'appuyer sur une organisation municipale forte. Ils ont méconnu cette nécessité, cédé à cette facilité si séduisante de gouverner avec un fil cette société française, réduite à l'état d'un couvent ou d'une armée; cette séduction les a perdus. »

Je croyais que M. Odilon Barrot avait été président du conseil des ministres pendant dix mois : du 20 décembre 1848 au 31 octobre 1849. Qui a empêché M. Odilon Barrot, pendant ces dix mois, de donner pour assises à la République démocratique la Commune émancipée ? Au lieu de présenter et de voter d'urgence la loi qui a supprimé le suffrage universel et frappé d'interdit 3,200,000 Francais majeurs, que ne présentait-on et que ne votait-on la loi d'émanci ation des 37,000 communes de France?

Finissons-en donc avec les discours et les phrases men

teuses.

Guerre aux phrases!

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