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RAILLERIES IMPRÉVOYANTES,

21 août 1851.

L'Assemblée nationale, ce journal funèbre voué à la résurrection des morts, raille la presse et le parti démocratiques sur leurs divisions.

A cet égard, la presse et le parti démocratiques n'ont, en tout cas, rien à envier à la presse et au parti monarchiques.

Il y a la presse et le parti légitimistes.
Il y a la presse et le parti orléanistes.

Il y a la presse et le parti fusionnistes.

La presse et le parti légitimistes se subdivisent en presse et parti légitimistes dirigés par M. Berryer, en presse et parti légitimistes dirigés par M. de La Rochejaquelein, ce qui constitue deux tendances très distinctes.

La presse et le parti orléanistes se subdivisent en presse et parti orléanistes qui représentent le comte de Paris, en presse et parti orléanistes qui cherchent à accréditer la candidature du prince de Joinville.

Cela, si je sais compter, constitue bien cinq divisions au moins.

Au sein du parti de la Liberté, les divisions s'expliquent d'elles-mêmes, car elles sont l'essence et le principe de la Liberté; mais où elles ne se conçoivent pas, c'est au sein du principe de l'Autorité,

La Liberté admet tout; elle vit de contradictions.
L'Autorité n'admet rien; elle vit de silence.

La Liberté ne croit qu'à la Vérité; il lui suffit qu'on la cherche.

L'Autorité ne croit qu'en elle-même; elle se prétend infaillible; le doute qu'elle provoque est un délit qu'elle punit.

La Liberté encourage tous les travaux consciencieux et sérieux; c'est en étudiant le contre qu'on apprend le pour. C'est à l'école de la Liberté arbitraire que m'a été enseignée la Liberté absolue.

Où il n'y a pas d'orthodoxie, il n'y a pas de schisme; mais où il y a orthodoxie, la plus légère dissidence suffit pour en constituer un.

L'Assemblée nationale fera donc prudemment de s'abstenir de toute raillerie lugubre qui l'exposerait à ce qu'on lui reprochât de voir une paille dans l'œil de son adversaire quand elle a une poutre dans le sien.

LES DÉTENUS DE BELLE-ISLE.

I.

19 août 1851.

C'est le mercredi, 20 août 1851, qu'est appelé à comparaître devant la cour d'assises et le jury le doyen de la presse parisienne, M. Sarrans, membre de la dernière Assemblée constituante, sous l'inculpation d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement de la République. Est-ce donc un légitimiste? Est-ce donc un orléaniste? Est-ce donc un fusionniste?

Est-ce donc un socialiste?
Est-ce donc un terroriste?

Non; ce n'est ni un terroriste, ni un socialiste, ni un fusionniste, ni un légitimiste : c'est un républicain, républicain modéré, quoique convaincu. Ses votes et ses discours à l'Assemblée constituante sont là pour l'attester. C'est, de plus, un ancien ami de M. Louis Bonaparte, alors que celui-ci n'était qu'un proscrit.

Qu'a-t-il donc fait ? Qu'a-t-il donc écrit ?

Il a écrit dans un recueil hebdomadaire, la Semaine, quelques lignes chaleureuses dans lesquelles il protestait contre l'indignité des traitements qu'on fait subir aux dé

tenus de Belle-Isle, et comparait ces traitements à ceux dont M. Louis Bonaparte était l'objet à Ham, et dont celuici se plaignait cependant dans les termes suivants : Protestation adressée, le 22 mai 1841, au président du conseil des ministres, par le prince L.-N. Bonaparte.

Depuis neuf mois que je suis entre les mains du gouvernement français, j'ai supporté patiemment tous les outrages; mais je ne veux pas me taire plus longtemps, et autoriser l'oppression par mon silence.

» Ma position doit être considérée sous deux points de vue : le côté moral et le côté légal.

» Moralement, le gouvernement qui a reconnu la légitimité du chef de ma maison est obligé de me reconnaître comme prince et de me traiter comme tel.

» La politique a ses droits que je ne conteste pas; que le gouvernement agisse avec moi comme envers son ennemi, et qu'il m'ôte les moyens de lui nuire, il sera juste; mais, au contraire, il sera inconséquent et mesquin, s'il me traite, moi, fils de roi, neveu d'un empereur et allié à tous les souverains de l'Europe, comme un prisonnier vulgaire.

» En invoquant les alliances étrangères, je n'ignore pas qu'elles n'ont jamais servi aux vaincus, et que le malheur rompt tous les liens; mais le gouvernement français doit reconnaître le principe qui m'a fait ce que je suis, car ce principe c'est le sien, c'est la raison de son existence. La souveraineté du peuple a fait mon oncle empereur, mon père roi, et je suis prince français par ma naissance. J'ai donc droit au respect et aux égards de tous ceux pour lesquels le vote d'un grand peuple, la gloire et le malheur sont quelque chose.

» Si, pour la première fois de ma vie, je me vante du hasard qui a présidé à ma naissance, c'est que la fierté convient à ma position, et que j'ai racheté les faveurs premières de la fortune par vingt-sept années de peines et de souffrance.

» Quant à ma position légale, la cour des pairs a créé pour moi une peine exceptionnelle.

>> En me condamnant à une prison perpétuelle, elle n'a fait que légaliser l'arrêt du sort qui me rendait prisonnier de guerre; elle a tâché d'allier l'humanité à la politique, en m'infligeant la peine la plus douce, le plus longtemps possible.

» Dans l'application, le gouvernement est resté bien en arrière de l'intention que je me plais à prêter à mes juges.

» Habitué dès mon enfance à une vie rude, je ne me plains nullement de L'INCONVENANTE SIMPLICITÉ DE MA DEMEURE; mais ce dont je me plains, c'est d'être victime de mesures vexatoires, inutiles à ma sûreté. Pendant les premiers mois de ma captivité, toute espèce de communication avec le dehors était interceptée, et, à l'intérieur, j'étais tenu au secret le

plus rigoureux; mais depuis que plusieurs personnes ont été admises à communiquer librement avec moi, les restrictions intérieures n'ont plus d'objet.

» Et cependant, c'est précisément depuis qu'elles sont inutiles qu'elles sont le plus rigoureuses. Tous les besoins journaliers du service sont soumis aux investigations les plus minutieuses. Les soins du plus fidèle serviteur auquel il ait été permis de me suivre sont entravés par des obstacles de tout genre.

» On a établi une telle terreur parmi la garnison et les employés du château, qu'aucun individu n'ose lever ses regards vers moi, et qu'il faut de l'audace pour être seulement poli.

» Et comment en serait-il autrement, quand la plus simple prévenance est regardée comme un crime, et que tous ceux qui voudraient soulager ma position sans manquer à leur devoir sont menacés d'être dénoncés à l'autorité et de perdre leur place.

>> Au milieu de cette France que le chef de ma famille a rendue si grande, je suis coming un excommunié du treizième siècle; tout le monde fuit à mon approche, tous craignent mon attouchement, comme si mon souffle était contagieux.

» Mais cette inquisition insultante qui me poursuit jusque dans ma chambre, qui reste attachée à mes pas lorsque je respire l'air dans un coin reculé du fort, ne se borne pas à ma personne : elle s'étend jusqu'à mes pensées. Mes lettres de famille, mes épanchements de cœur sont soumis à la censure la plus sévère, et si une lettre renferme un témoignage trop vif de sympathie, la lettre est séquestrée, et son auteur dénoncé au gouverne

ment.

» Pur une infinité de détails trop longs à énumérer, il semble qu'on prenne à tâche de me rappeler à chaque instant du jour ma position de captif, et qu'on me crie sans cesse aux oreilles: Va victis!

» Il est important de constater qu'aucune des mesures prises que je signale ici n'était prise envers les ministres de Charles X, dont j'occupe les chambres délabrées.

» Et cependant les ministres n'étaient point nés sur les marches du trône; ils n'avaient pas été condamnés au simple emprisonnement, mais à une peine plus sévère : la déportation.

>> Ils n'étaient pas enfin les représentants d'une cause qui est l'objet de la vénération de la France.

» Le traitement que j'endure n'est donc ni juste, ni légal, ni humain. Si on croit par là me dompter, on se trompe : ce ne sont pas les outrages, mais les marques de bonté qui brisent le cœur de ceux qui souffrent.

D L.-N. BONAPARTE. »

Expression vive d'un sentiment généreux: voilà le crime. dont M. Sarrans est accusé et qu'il aura peut-être à expier par la privation de sa liberté, tandis que le Constitutionnel

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