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II.

14 août 1851.

M. Leboyer est l'un de ceux qui ont le plus activement concouru, en 1848, à l'élection de M. Eugène Rouher, car alors l'homme de la catastrophe était, ou se disait républicain. M. Rouher est devenu ministre, et M. Leboyer est resté imprimeur... et républicain comme devant. C'est un crime aux yeux de son ancien protégé, aujourd'hui chef de la justice; un crime plus grand, c'est d'imprimer le seul journal d'opposition qui se publie dans le Puy-de-Dôme, l'Éclaireur républicain.

Briser les presses séditieuses de M. Leboyer comme celles de MM. Proux et Boulé, serait chose assez difficile en Auvergne, où la garde nationale se croit appelée à protéger, non à détruire la propriété. On ne saccagera donc pas les ateliers de M. Leboyer, mais on tâchera de les fermer au moyen d'un procès. Voici comment on s'y prendra; nous citons le mémoire de M. Jules Favre, auquel ont adhéré MM. Grévy, Crémieux, E. Arago, Reymond, Rollinat, Farconnet et Henri Nouguier :

« Le 17 avril 1851, M. Leboyer déposa, suivant son usage, à la souspréfecture de Riom, une déclaration d'impression pour un placard intitulé: La Crise financière, par Auguste Gaillard. Le lendemain 18 avril, il déposa un exemplaire de ce placard tant au parquet de M. le procureur de la République qu'à la sous-préfecture. Les prescriptions de la loi avaient donc été observées. Au surplus, il paraissait fort surperflu de s'en inquiéter. L'auteur ayant donné contre-ordre, M. Leboyer ne publia point et ne fit point afficher ses placards.

>> Cependant, par exploit du 26 mai 1851, M. Leboyer fut cité devant le tribunal correctionnel de Riom comme convaincu « d'avoir fait simulta» nément, le 18 avril 1851, la double déclaration d'impression et de dépôt » du placard intitulé: La Crise financière, et de s'être mis en contraven» tion à l'article 14 de la loi du 21 octobre 1811, qui exige une première » déclaration préalable à l'impression, puis ensuite la déclaration du dé» pôt de l'imprimé. » Le tribunal a considéré cette contravention comme constante et condamné M. Leboyer. Il n'a point cherché à contester le défaut de publication et la bonne foi de l'inculpé, mais il a proclamé que ces deux circonstances étaient indifférentes. Il a ajouté que l'accomplis

sement des formalités légales ne peut être constaté que par la représentation des récépissés réguliers; que M. Leboyer ne fait pas cette représentation, et que les deux déclarations produites par la préfecture du Puy-deDôme, bien qu'elles portent la date, l'une du 17, l'autre du 18 avril, sont toutes les deux timbrées du 19; qu'il en résulte que c'est ce jour et simultanément qu'ont été faites les deux déclarations.

>> Sur quoi s'est appuyé le tribunal pour condamner M. Leboyer? Uniquement sur le timbre placé par un concierge de la préfecture du Puyde-Dôme au pied de la déclaration d'impression; ce timbre porte la date du 19 avril. Donc, disent les juges de Riom, la déclaration n'a été faite que le 19 avril, en même temps que la déclaration de dépôt. Or, les pièces produites par M. Leboyer établissaient de la manière la plus incontestable la fausseté de la date du 19 avril 1851 indiquée par la préfecture. D'abord, l'exemplaire de la déclaration d'impression est daté par M. Leboyer du 17 avril, et la déclaration de dépôt est du lendemain 18.

Mais j'oubliais, ajoute Me Jules Favre, de mentionner une circonstance très grave qui ajoute à toutes les preuves accumulées ci-dessus, et rend la condamnation de M. Leboyer inexplicable. Cette condamnation a été prononcée parce qu'il aurait fait les deux déclarations d'impression et de dépôt simultanément le 19 avril. On a déjà établi, avec le récipissé du parquet, que la déclaration du dépôt a eu lieu le 18. Mais voici que l'assignation elle-même proteste contre le jugement. Il y est dit que M. Leboyer s'est mis en contravention avec la loi de 1814, en faisant les deux déclarations le dix-huit avril. Ainsi, la condamnation donne un démenti à l'assertion de l'accusateur lui-même.

M. le procureur de la République dit: Les deux déclarations ont été faites le 18 avril, et il en sait quelque chose, pour la déclaration de dépôt au moins, son registre et sa signature l'attestent. Mais comme la préfecture n'a timbré que le 19, le tribunal écarte la signature, le registre, l'assignation de M. le procureur de la République. Il s'agit d'un fait matériel, et les faits matériels disparaissent à ses yeux; il ne veut plus admettre que l'allégation intéressée de M. le préfet demandant un arrêt pour arracher un brevet et fermer la bouche à des adversaires politiques. Estce là une décision digne de la justice? »

L'écrit imprimé par M. Leboyer porte son nom et son adresse d'imprimeur.

Que reproche-t-on donc à M. Leboyer?

On ne lui reproche pas d'avoir omis son nom et son adresse.

On ne lui reproche point de n'avoir pas effectué le dépôt exigé par la loi du 21 octobre 1814.

On ne lui reproche point de n'avoir pas fait la déclaration exigée par la susdite loi.

Que lui reproche-t-on donc ?

On lui reproche d'avoir fait simultanément le dépôt et la déclaration, lorsque la déclaration aurait dû précéder le dépôt.

M. Leboyer atteste que la déclaration a précédé le dépôt et qu'il est conséquemment en règle.

Mais MM. les ministres de l'intérieur et de la justice sontils en règle lorsqu'ils font poursuivre avec cet excès de rigueur un imprimeur du Puy-de-Dôme, et qu'ils couvrent d'une protection scandaleuse les imprimeurs des Vosges et de la Loire, qui ont fait servir leurs presses à d'innombrables pétitions sur lesquelles ne se trouvent ni le nom ni l'adresse de ces imprimeurs?

On comble la mesure de l'arbitraire!

La politique met en péril la justice. Il faut que la cour suprême le sache!

III.

14 août 1851.

De la liberté du travail, si l'on passe à la liberté de l'enseignement, on trouvera là comme partout une haine déclarée contre la liberté, l'indépendance individuelle et la République.

Un honorable citoyen de Castelnaudary, M. Metgé, licencié-ès-sciences, sollicite, en décembre 1850, du conseil académique de Carcassonne, l'autorisation d'ouvrir une institution dans la ville qu'il habite.

A l'appui de sa demande, M. Metgé produit des pièces constatant moralité, expérience et capacité :

1° Un certificat de moralité;

2o Un certificat de stage constatant qu'il a exercé pendant cinq ans au moins les fonctions de professeur dans un établissement universitaire, lequel certificat a été délivré par les principaux membres du bureau du collège, leurs si

gnatures ont été légalisées par le maire et le préfet du département;

3o Un certificat de capacité consistant en deux diplômes de licencié, quelques travaux scientifiques et littéraires, plusieurs titres de membre des académies de sciences et lettres de Toulouse, de Marseille, de Grenoble et de Car

cassonne.

La réponse du conseil se fait attendre huit mois ; l'autorisation est refusée pour défaut d'attestations suffisantes. Ce que l'on refuse à M. Metgé, on l'accorde avec empressement à un prêtre missionnaire de Carcassonne, dépourvu de titres universitaires.

Quelques mots feront comprendre la cause de ce refus : M. Metgé est républicain, et il ne se contente pas d'aimer la République, il cherche à lui créer des partisans de tout âge.

Voilà ce que l'Univers et ses amis ont fait de la liberté de l'enseignement, que la Presse les avait aidés pendant dix ans à conquérir !

O Tartufes, qui ont réclamé la liberté pour avoir le monopole !

Mais patience, ce monopole qu'ils ont dérobé, la liberté rendue le leur enlèvera sans retour.

LA RÉACTION PAR ET CONTRE LA RÉPUBLIQUE.

16 août 1851.

M. Adrien de la Valette me rappelle que l'Assemblée nationale et la Presse ont lutté ensemble dans le mois de mars 1848.

Oui, cela est vrai, et non-seulement je n'en disconviens pas, mais je sais toujours gré qu'on me le rappelle; oui, cela est vrai, à cette époque, j'ai blâmé tout acte qui avait le caractère de l'intimidation, qui avait une tendance à l'arbitraire; mais ce que j'ai blàmé sous le gouvernement provisoire du 24 février, je n'ai pas cessé de le blâmer sous le gouvernement définitif du 10 décembre; je ne me suis pas démenti; la Presse n'a pas fait ce qu'a fait l'Assemblée nationale, qui a approuvé APRÈS le 10 décembre ce qu'elle avait blamé AVANT.

Au surplus, ce n'est ni de 1851, ni même de 1850, quoi qu'en dise M. de la Valette, qu'un dissentiment existe entre l'Assemblée nationale et la Presse, car ce dissentiment remonte précisément à l'époque qu'il rappelle; il remonte au mois de mars 1848, où déjà je signalais ses tendances réactionnaires, tendances qu'il défendait, le 25 mars 1848, en ces termes indignés :

Vous nous accusez d'être RÉACTIONNAIRES; ce mot aujourd'hui veut dire suspects, traîtres à la patrie. Tous nos actes, tous nos articles prouvent votre INJUSTICE. On a surpris votre bonne foi; vous vous empresse

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