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COMPTONS-NOUS.

8 juillet 1851.

Je lis dans un article de l'Assemblée nationale cette ligne

à mon adresse :

« Il faudra dire comme M. de Girardin: « Battons-nous. »

Je dis précisément le contraire; je dis : Ne nous battons pas; comptons-nous.

Mais comptons-nous tous.

Mais comptons-nous exactement.

Avec l'exactitude rigoureuse de la Banque de France dressant chaque semaine son bilan.

Qu'à cet effet, le suffrage universel acquière la précision du litre, du mètre, du kilogramme, du franc, de la balance, de la boussole, du chronomètre, du thermomètre, du baromètre, etc.; qu'il devienne véritablement, enfin, ce qu'il doit être, un véritable pèse-opinion d'une incontestable jus

tesse.

C'est ce que demande la Presse, c'est ce que je demande. C'est précisément ce que repousse l'Assemblée nationale, ce que repousse M. Guizot, qui ne veut pas du suffrage universel.

C'est donc l'Assemblée nationale et ses rédacteurs pseudonymes qui veulent qu'on se batte et qu'on ne se compte pas.

Mais ils s'abusent en juillet 1851 comme ils s'abusaient en juillet 1847; on ne se battra pas et on LES comptera.

Ce jour-là, le jour où on les comptera, ils auront cessé d'exister politiquement, car il n'y a pas en France, sur 9,936,000 Français majeurs et électeurs en 1849, 936,000 légitimistes, fusionnistes et orléanistes, c'est-à-dire l'appoint des neuf millions.

Non, certes, sur 9,936,000 Français majeurs et électeurs, il n'y en a pas 9,936,000 qui veulent le maintien :

D'un budget de dix-huit cent millions de francs;

D'une armée de 580,000 hommes qui coûte un million par jour, 360 millions par an;

Du service militaire et maritime obligatoire;

De 177,956 fonctionnaires, dont les neuf dixièmes sont inutiles;

De l'impôt progressif relativement à la misère;

Des impôts contre la consommation et sur le travail ;
Des octrois;

Des douanes;

Des monopoles, des priviléges, et de toutes les lois restrictives qui ont survécu à la révolution de 1789, à celle de 1830 et à celle de 1848.

Mais il y en a plus de 9,000,000 qui veulent, ce qui est facile, la réforme radicale du budget et la transformation de l'impôt FORCÉ en prime VOLONTAIRE d'assurance.

Aussi, ce que vous ne direz pas, ce que vous n'osez pas dire, je le dis et je le répète hautement :

Comptons-nous!

UNE ACCUSATION SANS FONDEMENT.

"Eh bien

autant je serais désespéré d'apercevoir dans cette Assemblée la moindre tendance à se perpétuer indéfiniment, autant je verrais avec regret sa retraite PRECIPITÉE et surtout FORCEE. »

MOLE. Séance du 26 octobre 1848.

I.

9 juillet 1851.

J'entends sans cesse accuser les républicains de la veille, dont je n'ai jamais confondu la cause avec celle de la République du lendemain, je les entends sans cesse accusés d'avoir combiné avec une préméditation presque criminelle la double échéance qui fait expirer les pouvoirs du président de la République le 9 mai 1852, et, dix-neuf joursaprès, le 28 mai de la même année, les pouvoirs de l'Assemblée nationale.

Combien de fois les journaux de l'Agitation (ne plus dire Réaction), le Constitutionnel, l'Assemblée nationale, l'Ordre, etc., etc., n'ont-ils pas accusé l'ancien rédacteur en chef du National, M. Armand Marrast, rapporteur de la commission de Constitution, de cet excès de machiavélisme, de cette embûche tendue à M. L.-N. Bonaparte? Jamais il n'a été fait, à cette accusation sans fondement, la réponse

que le National aurait dû y faire, et que je m'attendais à trouver dans le rapport de M. de Tocqueville, en sa double qualité de l'un des dix-huit membres de la commission de Constitution, et de rapporteur de la commission de révision. Mais au lieu d'y trouver cette réponse, j'ai été très étonné d'y rencontrer ce passage:

« Si l'élection du président de la République avait eu lieu à l'époque naturelle, indiquée par la Constitution, c'est-à-dire le 12 mai 1849, les pouvoirs présidentiels auraient survécu d'un an à ceux de cette Assemblée, et ce n'est qu'en 1861, après douze ans d'expérience et de stabilité, qu'on eût vu le chef du pouvoir exécutif et l'Assemblée législative cesser en même temps leurs fonctions.

Mais, par l'effet accidentel de la loi du 28 octobre 1848, loi rappelée par l'article 116 de la Constitution, le président a été élu le 10 décembre 1848, et sera néanmoins arrivé au terme de sa magistrature dans le courant de mai prochain. Ainsi, dans le même mois, et à quelques jours de distance, le pouvoir exécutif et la puissance législative changeront de mains. Assurément, jamais un grand peuple, encore mal préparé à l'usage de la liberté républicaine, n'aura été jeté tout à coup par la loi même dans un tel hasard, jamais Constitution naissante n'aura été soumise à une si rude épreuve; et dans quelle contrée de la terre, messieurs, cette éclipse prévue et totale du pouvoir doit-elle se faire remarquer? Chez le peuple du monde qui, bien qu'il ait renversé plus souvent qu'un autre son gouvernement, a le plus l'habitude et sent plus qu'aucun autre peut-être le besoin d'être gouverné. >>

C'est bien à tort et fort injustement que M. de Tocqueville, membre de la commission de Constitution et membre de la commission de révision, accuse la loi du 28 octobre 1848 d'une coïncidence dont la responsabilité doit retomber tout entière sur la majorité, qui, sous l'influence de la Réaction commandée en chef par M. de Montalembert, vota, en janvier 1849, la fameuse proposition-Rateau.

En effet, si cette fameuse proposition n'avait pas été votée, si on avait laissé à l'Assemblée constituante tout le temps nécessaire à la préparation et au vote des lois organiques, l'élection d'un nouveau président eût eu lieu le deuxième dimanche de mai 1852, mais les élections généles des représentants du peuple n'eussent eu lieu au plus tôt qu'en 1853 ou 1854; car assurément ce n'eût pas été

trop de temps de toute l'année 1849 pour discuter et voter les lois suivantes, qui sont encore à l'état de projets :

1o Loi sur la responsabilité des dépositaires de l'autorité publique;

2o Loi d'organisation départementale et communale; 3° Loi d'organisation de la force publique ;

4° Loi d'organisation de l'assistance publique.

Cependant, le décret du 4 septembre 1848 avait formellement déclaré ce qui suit :

« L'Assemblée nationale ne se DISSOUDRA POINT sans avoir voté les lois organiques. >>

Un autre décret du 15 décembre 1848 avait énuméré ces lois organiques, au nombre de dix, et avait prescrit que des « commissions spéciales seraient immédiatement nommées » par les bureaux pour préparer SANS DÉLAI chacun des » dix projets de loi énumérés dans le même décret. »

Eh bien! qui, au mépris de ces deux décrets si formels, monta à la tribune, le 12 janvier 1849, et prit la parole pour insister sur la dissolution de l'Assemblée constituante? Ce fut M. Odilon Barrot, président du conseil et garde-dessceaux, s'exprimant ainsi :

M. ODILON BARROT, président du conseil : « J'ai dit, et pardonnez-moi la franchise de mes paroles, j'ai dit qu'au lieu de vous conformer à cette recommandation constitutionnelle, faite à une Assemblée dans une situation moins difficile peut-être que la vôtre, vous vous êtes plus préoccupés du gouvernement, c'est-à-dire de ce qui était en dehors de la législation et de votre mission constituante.

>> Si je suis intervenu dans ce débat, c'est pour supplier l'Assemblée de soulager notre situation d'une seule chose, d'une chose qui a porté malheur à tous les gouvernements, d'une chose qui paralyse toute l'énergie, toute la vitalité de nos institutions, qui pèse sur le crédit public, sur la confiance publique cette chose, c'est l'incertitude. Faites disparaître cette incertitude, je vous le demande au nom de l'intérêt du pays. C'est l'incertitude qui fait fermenter les passions, c'est l'incertitude qui arrête l'essor des affaires et du crédit.

» Je voudrais, messieurs, que la question fût ainsi posée : Est-il bon, est-il utile au bien du pays que l'incertitude continue à planer sur le moment où cette Assemblée cédera la place à une autre Assemblée ? »

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