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LA VOLONTÉ DU PEUPLE.

« J'envisage l'avenir du pays sans crainte, car son salut viendra toujours de la VOLONTÉ DU PEUPLE librement exprimée, religieusement acceptée. »

L.-N. BONAPARTE. Discours de Poitiers.

1er juillet 1851.

« La volonté du peuple, librement exprimée, voilà le droit! Religieusement acceptée, voilà le devoir! »>

Ainsi s'exprime le Constitutionnel, avec qui la Presse serait en parfait accord d'opinion, si la loi du 31 mai 1850, «la >> machine la plus infernale pour allumer sur tous les points » de la France la guerre civile, » n'existait pas ou n'existait plus.

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Il y a, je le sais, une partie de l'opposition, celle qui passe pour la plus modérée, qui met la Constitution audessus de tout, au-dessus de la souveraineté du peuple; mais c'est là une opinion que je ne saurais partager; j'ai toujours mis et je persiste à mettre encore au-dessus de la Constitution la souveraineté du peuple ayant pour mode d'exercice le suffrage universel.

Seulement, il faut bien s'entendre sur ces mots: LA VOLONTÉ DU PEUPLE.

Le Constitutionnel la définit ainsi : « L'UNIVERSALITÉ DES CITOYENS JOUISSANT DES DROITS CIVIQUES. »

Je n'admets pas cette définition arbitraire, car avant la

Révolution du 24 février 1848, qui a aboli le cens électoral et proclamé le suffrage universel, sur 11 millions de Français majeurs et jouissant de leurs droits civils, il n'y en avait que 220,000 jouissant de leurs droits civiques, c'est-àdire ayant vingt-cinq ans d'âge et payant 200 francs de contributions directes.

Avant la Révolution de 1830, le nombre des électeurs jouissant de leurs droits civiques était bien moins grand encore: il était de 93,000 seulement.

Ces mots droits civiques, sont infiniment élastiques, puisqu'ils peuvent varier ainsi au gré d'un texte de loi, et passer du chiffre de 93,000 au chiffre de 11 millions.

L'universalité des citoyens doit s'entendre de tous les Français âgés de vingt-et-un ans accomplis, puisque cet âge est celui que le code civil a fixé pour la majorité.

Toute autre définition est une définition arbitraire, variable, menteuse.

Est-ce que la loi de recrutement établit une distinction entre le Français domicilié et le Français non domicilié ? est-ce qu'elle admet une autre base que celle de l'âge pour le tirage au sort? - Non.

Qu'il soit donc bien entendu désormais que ces mots : LA VOLONTÉ DU PEUPLE, LE PEUPLE, LA FRANCE, ne sauraient avoir, politiquement, un autre sens que celui-ci : L'UNIVERSALITÉ DES FRANÇAIS AGÉS DE VINGT-ET-UN ANS.

Républicains de toutes nuances, bonapartistes, orļéanistes, légitimistes, mettons-nous tous d'accord sur ce point, et l'on verra se dénouer, comme par enchantement, toutes les difficultés qui paraissent présentement insolubles.

Renonçons aux faux poids, aux fausses mesures, aux fausses balances.

Pour le légitimiste comme pour l'orléaniste, pour le bonapartiste comme pour le républicain, l'heure est composée de soixante minutes et la minute de soixante secondes; le mètre est la dix-millionnième partie de la distance du pôle à l'équateur, compté sur le méridien de Paris; le gramme

est le poids d'un centimètre cube d'eau distillée, ramenée à son maximum de densité; le franc est le poids de cinq grammes d'argent contenant un dixième d'alliage.

Aussi, entre l'orléaniste et le légitimiste, entre le bonapartiste et le républicain, n'y a-t-il aucun débat sur ce qu'il faut entendre par ces mots: HEURE, MÈTRE, GRAMME,

FRANC.

Qu'il en soit ainsi de l'unité de mesure politique!

Vous tous qui en êtes sournoisement sortis par une fissure, rentrez loyalement dans l'esprit de l'article 25 de la Constitution, ainsi conçu: « Sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt-et-un ans et jouissant de leurs droits civils et politiques. >>

Dès que vous y serez rentrés, la porte des révolutions se fermera d'elle-même, et d'elle-même s'ouvrira la porte des améliorations.

Si la volonté du peuple est que la Constitution soit révisée, elle sera révisée; si l'expérience démontre que le scrutin de liste doit être supprimé, il sera supprimé; si la précision exige qu'il n'y ait plus qu'un seul collège électoral pour toute la France, il n'y en aura plus qu'un, qui marquera l'opinion comme un cadran marque l'heure, avec le même degré de certitude.

Alors ces mots : LA VOLONTÉ DU PEUPLE, auront un véritable sens.

Aujourd'hui, ils n'en ont aucun pour qui que ce soit en France, pas plus pour ceux qui louent le discours de M. L.-N. Bonaparte, à Poitiers, que pour ceux qui le blâment.

On s'étonne que la Presse n'en ait rien dit. Que voulait-on qu'elle en dit? Des lettres qui n'ont pas de sens ne sont pas un mot; des mots qui n'ont pas de sens ne sont pas un discours.

Des applaudissements réitérés, si j'en crois le Constitutionnel, ont accueilli cette phrase:

« J'appelle de tous mes vœux le moment solennel où la voix puissante de la nation dominera toutes les oppositions et mettra d'accord toutes les rivalités. »

J'en suis faché pour ceux qui ont applaudi cette phrase, mais ils l'ont applaudie aussi étourdîment que si, pour se désaltérer, ils eussent porté à leurs lèvres des verres vides.

Est-ce que « la voix puissante de la nation » ne s'est pas fait entendre en avril 1848, en décembre 1848, en mai 1849, forte de dix millions de voix? A-t-elle dominé les oppositions, a-t-elle mis d'accord les rivalités ?

La preuve manifeste qu'elle n'a pas mis d'accord les rivalités et qu'elle n'a pas dominé les oppositions, c'est que, de l'aveu même de l'auteur du toast, ces oppositions et ces rivalités subsistent encore.

Point d'illusions! Plus de mensonges!

En mars 1848, on nous disait : tuante.

Attendez la Consti

La Constituante nommée, on nous disait: Attendez la Constitution.

La Constitution votée, on nous disait : Attendez l'élection du 10 décembre.

L'élection du 10 décembre accomplie, on nous disait : Attendez la Législative.

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La Législative, fonctionnant depuis deux ans, on nous dit: Attendez les prochaines élections générales!

Eh bien! il en sera des élections futures comme il en a été des élections passées. A moins qu'elles ne soient une bataille livrée, elles seront un mécompte nouveau, si l'on persiste à ne vouloir rien faire de ce qu'il faudrait faire pour le prévenir.

TROIS RÉVOLUTIONS.

1er juillet 1851.

Il faudrait cependant être sincère et conséquent. J'entends tous les jours vanter à la tribune législative la révolution de 1789 par des orateurs qui semblent n'avoir pas assez de sévérité et de dédain pour la révolution de 1848. Trois révolutions se sont accomplies en France: La première en 1789; La seconde en 1830;

La troisième en 1848.

De ces trois révolutions, laquelle s'est souillée par de condamnables excès?

Est-ce la dernière, ou la première ?

Vanter la première révolution et dénigrer la dernière, c'est absoudre la Terreur et condamner la Liberté.

Est-ce donc parce que le peuple, victorieux en février 1848, a respecté la Liberté dans la personne de ceux qui le flattaient bassement en mars 1848, et qui, en mai 1850, devaient supprimer le suffrage universel, qu'il mérite d'être traité de « vile multitude? »

Je le répète il faudrait être conséquent; il faudrait être sincère.

Ou il faut condamner les trois révolutions, ou, s'il en est une qu'on doive glorifier, c'est celle du 24 février 1848.

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